Nina ( TOME 1 )

Chapitre 6 (Nina)

Camille ouvre enfin les yeux, tandis que moi, je n'ai pas réussi à les refermer après mon cauchemar. Étendu dans mon lit, le regard perdu sur le plafond aux lattes de bois, je me tourne lentement vers elle. Sa respiration paisible m'envie presque.

- T'es réveillé depuis longtemps ? me demande-t-elle d'une voix encore empreinte de sommeil.

- Non, non, juste depuis trois minutes.

Je lui mens. Je le fais souvent, pas par malveillance, mais par habitude. Camille ignore tout de mes cauchemars, et je n'ai pas la force, ni l'envie, de m'y attarder. De toute façon, qu'est-ce que je pourrais bien dire ? Ces rêves sombres sont comme des ombres insaisissables, des images qui s'effacent au réveil, mais laissent une trace sourde dans la poitrine. J'ai toujours été un peu renfermé sur mes émotions, comme un livre fermé que personne n'ose ouvrir. Même avec Camille, ma meilleure amie, je préfère garder ces choses enfouies. C'est plus facile, plus sûr.

Camille se redresse doucement, s'assied un instant sur le bord du lit et passe ses mains dans ses cheveux emmêlés. Elle jette un regard vers moi, et je me demande un court instant si elle perçoit quelque chose d'anormal dans mon silence.

- Bon, il faut absolument que je me douche, moi, déclare-t-elle en s'étirant, rompant le fil de mes pensées.

Elle me gratifie d'un sourire éclatant, celui qui lui est propre, lumineux, presque contagieux. Elle attrape sa serviette et quelques vêtements, puis s'éclipse vers la salle de bains dans un petit tourbillon d'énergie. Pendant un moment, je me laisse bercer par le bruit de ses pas sur le parquet grinçant. Je pourrais me lever, mais une partie de moi refuse de quitter la chaleur réconfortante des draps. Je ferme les yeux, espérant peut-être attraper quelques minutes de répit, mais le sommeil ne revient pas.

Aujourd'hui, c'est samedi, et demain Camille repart. Cette pensée m'oppresse légèrement. Nous avons passé les trois derniers jours à explorer la ville et ses environs, à flâner dans les ruelles animées de Denver, à grimper sur des collines pour avoir la meilleure vue sur les montagnes au loin. C'était un séjour simple mais rempli de rires et de moments complices. Je ne me souviens plus de la dernière fois où j'ai passé autant de temps avec quelqu'un, et même si je n'aime pas l'admettre, ça va me manquer.

Depuis trois jours, aucun cauchemar. Une chance, ou peut-être un répit temporaire. Pourtant, parfois, je sens cette inquiétude latente, celle qui murmure que ces rêves sombres ne sont jamais bien loin. Qu'ils se cachent juste assez pour réapparaître au moment où je suis le plus vulnérable. J'essaie de chasser cette pensée, de me concentrer sur aujourd'hui.

Nous avons prévu de visiter un dernier café aujourd'hui, le dernier sur la liste méticuleusement établie par Camille. Il se trouve à environ trente-cinq minutes de transport de l'université, dans un coin un peu plus excentré. Camille avait lu des avis enthousiastes à propos de l'endroit. Elle m'avait promis que ce café, avec son ambiance rustique et sa décoration atypique, me plairait.

Une fois sur place, je comprends ce qu'elle voulait dire. Le lieu est chaleureux, avec des boiseries foncées et une odeur douce de café fraîchement moulu. L'une des parois du café attire particulièrement mon attention : elle est recouverte de cadres de tailles diverses, chacun abritant des portraits d'animaux peints à la main. Les couleurs vibrantes et les détails délicats donnent à ces toiles une vie presque palpable. C'est étrange, mais captivant. Un renard avec un regard pénétrant, une chouette perchée sur une branche... Ces animaux semblent nous observer, avec une sagesse que je ne peux pas comprendre.

Camille, comme à son habitude, s'empresse de passer commande. Une tarte aux fraises, accompagnée d'un jus de cerise, framboise, concombre et menthe. Rien de surprenant venant d'elle, toujours à la recherche de combinaisons aussi originales qu'improbables. Moi, je me contente d'un beignet aux pommes et d'un milkshake à la vanille, simple et réconfortant. On s'installe à une table près de la fenêtre, et la conversation glisse naturellement vers le futur.