À deux pas de chez toi

Chapitre 5

Ben

Quand Romain m'a laissé entendre que Flavie passait le plus clair de son temps dans son appartement lorsqu'elle n'était pas en cours, j'ai cru y voir une intention cachée. Comme un non-dit qu'il aurait aimé que j'intercepte avec mes antennes de meilleur pote. C'est comme cela que m'est venue l'idée de cette petite excursion en ville pour l'aider à se familiariser avec son nouvel environnement. J'aurais pu attendre qu'elle rentre chez elle pour le lui proposer, mais je dois avouer que lui glisser un mot sous sa porte m'a franchement amusé, me rappelant un souvenir de jeunesse. C'était la fois où la maison de leurs parents abritait le même jour une soirée filles et une soirée garçons. Chaque groupe s'était plu à ignorer royalement l'autre, comme les adolescents idiots que nous étions. Puis finalement, nous avons passé la soirée à communiquer des coordonnées de bataille navale, inscrits sur des bouts de papier que nous faisions passer sous nos portes respectives. En y repensant, je ne me souviens plus qui avait gagné.

Encore sous l'effet de ce souvenir lorsque je frappe à sa porte, je fais un bon de dix ans en avant lorsqu'elle m'accueille. Finirai-je par m'habituer à l'adulte qu'elle est devenue ? Je note toutefois que sa tenue est bien plus décontractée, me donnant l'impression de retrouver un peu de l'adolescente qu'elle était. Le regard qu'elle pose sur moi me fait l'effet d'une inspection au laser. Je pose ma main droite sur la lanière de mon sac photo pour me donner une contenance et lui propose de commencer la soirée.

- Alors, quel est le programme ? s'intéresse-t-elle une fois à l'extérieur.

- Nous avons la ville entière à notre disposition, y-a-t-il des endroits en particulier que tu aimerais découvrir ? proposé-je.

Elle tortille sa bouche en levant les yeux au ciel pour réfléchir, avant de se prononcer :

- Trop de choses me viennent en tête, je te laisse être mon guide.

J'ai l'impression de me revoir, quelques années plus tôt, alors que je ne connaissais pas la capitale. Chaque jour donnait lieu à une nouvelle découverte, une nouvelle expérience. Je suis heureux de m'être intégré à la vie londonienne, mais j'envie un peu cette sensation de découverte qu'elle éprouve en cet instant. Elle a tout à explorer, de nouveaux lieux à visiter, et de nouvelles rencontres à faire.

- Alors on va commencer par aller dans un pub, m'enthousiasmé-je devant son air tout à coup perplexe.

- Donc, ton plan c'est de me saouler ? ironise-t-elle dans un sourire amusé.

- Qui a dit que tu avais droit de boire de l'alcool ? J'ai des comptes à rendre à ton frère, moi.

Je lui adresse un clin d'œil complice et l'entraîne dans le métro en direction des nuits animées de Londres. Nous commençons notre périple à Piccadilly Circus, où la surprise se lit sur son visage dès notre sortie du métro. Les panneaux lumineux typique de cet endroit nous plongent dans un New-York miniature qui semble l'étonner. La foule est déjà dense, et bien qu'il règne toujours cette ambiance feutrée typique de Londres, on ressent que le quartier s'anime. Je sors mon appareil photo et prends quelques clichés pour ajuster mes réglages. Flavie semble avoir complètement oublié ma présence, absorbée par le décor qui s'offre à elle. En la voyant incliner la tête sur le côté et froncer les sourcils, je recherche ce qui la fait réagir. Je comprends quelques secondes plus tard en détectant le bus d'un rouge caractéristique, rempli de jeunes majoritairement dévêtus en train de montrer leur postérieur aux passants. Les jeux de lumière et la musique qui se dégagent du bus me font pencher pour un enterrement de vie de garçon. Je souris devant la moue dubitative de Flavie :

- C'est ça aussi, Londres, constaté-je.

- Des gens à poil ?

Sa réflexion me fait éclater de rire et je hausse les épaules, n'ayant pas d'arguments à apporter. Ce n'est pas la première fois que je suis spectateur de ce genre de situation, et je me rends compte que j'ai fini par m'y habituer.