Fais un ange dans la neige

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La ville de T. se situait dans la région des Hauts-de-France en bordure de la mer du Nord. Pendant la période estivale, sa plage était constamment occupée par les locaux et les touristes. En revanche, elle était désertée d'octobre à février. Il ne fallait donc pas s'attendre à y voir quelqu'un après 17 h, tant la météo assombrissait le paysage et lui conférait une aura lugubre.

À cinq cents mètres du rivage, dans une maison mitoyenne, une adolescente répondant au nom de Huê avait le nez plongé dans ses bouquins : elle était en pleine session d'étude pour le concours d'entrée d'une prestigieuse école de commerce. Ayant négligé ses révisions la veille afin de s'accorder une journée de répit, elle regrettait à présent sa décision. Il ne lui restait plus beaucoup de temps avant la date fatidique, d'autant plus que, dans sa famille, réussir ne constituait pas une option mais une obligation.

Elle colla son front à la fenêtre, observant les flocons tomber inlassablement et recouvrir chaque surface exposée. De la buée apparut devant elle et son doigt traça un cercle pour dessiner une boule à neige. Elle aurait aimé capturer cet instant, le tenir au creux de sa paume et y retourner lorsqu'elle le désirerait. Seulement, ce n'était pas la réalité. Elle retourna sur sa chaise de bureau et parcourut ses dossiers, soupirant. Les lettres dansaient sous ses yeux et se mélangeaient jusqu'à former de nouveaux mots qui semblaient provenir de langues étrangères. Elle cligna des yeux afin de chasser la fatigue.

Avant les études supérieures, il y avait le lycée. Là-bas, sa voix intérieure lui suggérait de brûler ses cours devant les professeurs tout en les questionnant sur l'utilité de calculer des dérivées ou d'être évalué sur la capacité à courir trente minutes sans s'arrêter. La quasi-totalité de ce qu'elle y apprenait ne lui servirait plus à l'avenir — dès lors, à quoi bon continuer ?

Elle ne pouvait s'empêcher de scruter le dehors. La neige tombait à une vitesse folle. Si un flocon équivalait à une seconde, une heure s'écoulait en un battement de cils. Les vacances de Noël touchaient à leur fin tandis qu'elle stagnait entre ces quatre murs. Pour se soustraire à ce quotidien morose, elle sortait de temps en temps en douce. Quelle chance d'avoir sa chambre au rez-de-chaussée, quelle veine d'ailleurs que ses parents n'aient pas le sommeil léger ! Quand elle s'échappait de sa tour dorée — c'était ainsi qu'elle aimait l'appeler —, elle marchait habituellement jusqu'à la plage. Elle prenait soin d'emporter un petit sac à dos contenant quelques provisions d'urgence, une couverture pour se protéger des potentielles bourrasques et un couteau suisse « au cas où ». Malgré tout, elle veillait à s'éclipser le plus silencieusement possible et rentrer à une heure décente, à savoir avant les premières lueurs de l'aube.

Elle décida d'arrêter l'étude pour aujourd'hui. Il lui restait encore demain. Et le surlendemain.


Allongée sur son lit, elle avait compté chaque minute qui s'égrenait, essayant de trouver le sommeil, en vain. Elle sortit de sa chambre pour étancher sa soif. Les ronflements de son père se répercutaient dans toute la maisonnée, sa mère reposait sans doute aussi dans les bras de Morphée : la voie était libre. Habillée chaudement, munie de bottes antiglisse et parée de son sac à dos, Huê s'aventura dans la nuit sombre.

Les lampadaires éclairaient les dalles des rues recouvertes de neige. Très rarement, les faisceaux des phares d'une voiture se distinguaient à travers le paysage hiémal. Il était aux alentours de 22 h 30 et la mer l'attendait.

Personne ne la prenait au sérieux lorsqu'elle essayait d'expliquer le lien profond qu'elle entretenait avec la mer. Ce n'était pas à cause d'une quelconque passion pour la natation ou un autre sport aquatique, parce qu'elle abhorrait tout exercice physique qui requérait de s'exploser les poumons. Non, la raison se plaçait au-delà du contact corporel et relevait de la métaphore : elle était la mer et la mer était elle.

Nous, les naufragésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant