Incompréhension en arpèges

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Purée, ce matelas est inconfortable, pensa Huê une fois réveillée. Elle avait l'impression d'être allongée sur un bout de carton si fin qu'elle parvenait à sentir la forme des lattes du lit, comme si une dizaine de grosses épines lui transperçaient la peau. La conscience d'abord embrumée, elle essaya de se rappeler ses aventures de la veille. Après plusieurs minutes de concentration, le souvenir des vagues et de la plage sur laquelle elle s'était assoupie lui revint en mémoire.

Elle ouvrit brusquement les yeux : le ciel avait été remplacé par une voûte en plâtre. Ses membres se mirent en mouvement malgré son mal de dos et son regard se promena dans la pièce. Tout était d'un blanc immaculé, du sol au plafond, des gros meubles aux plus infimes détails. Tâtant son corps, elle constata qu'elle portait les mêmes habits qu'hier, ce qui la rassura pendant quelques secondes avant qu'elle ne réalise qu'ils étaient propres, tout comme ses cheveux. Ils étaient censés être saupoudrés de sable. La perplexité céda vite à la panique et elle se mit à appeler à l'aide. Mille questions se bousculèrent : où se trouvait-elle, qui l'avait amenée ici, que lui avait-on fait pendant son sommeil. Elle devait s'en aller de ce lieu, rentrer chez elle coûte que coûte et s'excuser auprès de ses parents pour sa conduite inconsciente.

Il y avait une porte cachée derrière une des armoires qu'elle découvrit vingt minutes après avoir mis la pièce sens dessus dessous. Son poignet tremblant abaissa la poignée et une bourrasque brûlante lui asséna une claque magistrale enchaînée d'une mini-tempête de sable qui la força à se protéger le visage. Quand cela se calma, elle put enfin examiner ce qui se trouvait de l'autre côté et manqua de s'étrangler. Un désert infini se déployait, ses dunes étincelantes s'érigeant à perte de vue.

— T'es devenue folle. Ou bien tu fais un cauchemar. C'est ça ! Tu fais toujours des rêves bizarres, murmura-t-elle, adossée contre le battant.

Elle se rappela celui où elle s'était fait courser par des dealers, après quoi elle était entrée dans un portail qui l'avait menée à un supermarché dans lequel elle s'était métamorphosée en pluie dorée pour éviter qu'on la reconnaisse. Foutu cours de grec ancien du jeudi. Et quelle idée d'avoir regardé un reportage sur les cartels de drogue avant d'aller dormir !

Son rythme cardiaque s'apaisa : il ne s'agissait que d'un mirage. Elle s'était assoupie sur la plage et se réveillait au beau milieu d'un désert... Conclusion, le sable était le lien. Tout ceci avait pourtant l'air si vrai, mais là se manifestait l'essence même des songes, n'est-ce pas — l'essence qui leur permettait de donner l'illusion du réel.

Pour vérifier cette hypothèse, elle s'agenouilla pour enfouir sa tête dans le sable après avoir retiré son manteau, son écharpe et son sweatshirt. Elle testa la température, évaluant si elle ressentait cette chaleur non pas par impression, mais par véritable sensation. Et elle la sentit lui brûler les joues, le front.

— Wow, ce rêve est super réaliste, chuchota-t-elle.

— Euh... salut, lui dit-on.

Elle releva prestement la tête  : un jeune homme la dévisageait. Ses boucles châtains lui cachaient un œil.

— Salut... On se connaît ?

Un jour, elle était tombée sur un article sur Internet affirmant que toutes les personnes présentes dans nos rêves étaient des personnes que l'on avait croisées dans la vraie vie. L'aurait-elle aperçu au détour d'une rue ?

— Je m'appelle G. et je suis ici pour t'aider.

L'aider ?

— T'as pas répondu à ma question.

Il soupira, comme s'il était habitué à ce sermon.

— Non, on se connait pas. Je t'expliquerai tout en chemin, parce que là, on a pas le temps. Prends tes affaires et prépare-toi à partir.

Huê inspecta son interlocuteur. Il avait beau ne pas sembler dangereux, mieux valait ne pas se fier aux apparences.

— Donne-moi une bonne raison de t'obéir.

— La maison va exploser dans cinq minutes.

— Quoi ?!

Elle avait dû mal entendre.

— Et puis même, tu penses vraiment que je vais accepter de suivre un inconnu dans le désert ? Ce rêve est trop bizarre.

— Écoute, je sais que j'ai l'air de mentir, mais tu dois me croire.

A son regard sceptique, il leva les mains et haussa les épaules en signe d'abandon.

— Mais bon, je peux pas te forcer donc reste ici si tu veux. Je faisais juste mon boulot...

Il s'éloigna, la laissant tiraillée entre l'incompréhension, la peur et l'irritation. Avant qu'elle ne puisse riposter, il lança par-dessus son épaule :

— Au fait, c'est tout sauf un rêve.

Nous, les naufragésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant