Les flancs de ma monture, ruisselants, tapaient contre mes cuisses à chaque foulée, en rythme avec le battement des veines de mon front. La pulsation résonnait dans tout mon crâne. Au loin et au milieu de la nuit noire, une forte lumière brillait à travers le verre teinté de carreaux en cul-de-bouteille. Je tirai une dernière fois sur la bride pour inciter la bête en nage, un alezan que j'avais récupéré à l'étable de Pierre-Pond, à puiser dans ses dernières forces. Les sabots claquaient contre les pavés de la route cahoteuse, emplissant mes oreilles d'un bourdonnement incessant.
Le cheval s'arrêta enfin devant un portail rouillé à moitié arraché de ses gonds, et je me laissai presque tomber à terre. Je caressai sa croupe, le poussant gentiment vers un pré. Tu peux y aller, tu m'as déjà bien aidé. Mais ses poils rêches m'irritèrent la peau dans une brûlure intense, et je retirai la main aussi vite que je l'avais posée. Qu'est-ce donc que ça ?
Je me traînai tant bien que mal jusqu'à la porte, m'appuyant contre le bois vermoulu. Sous mes paumes, sous l'humidité, ça grouillait. Infestée. J'entrai d'un pas décidé. La luminosité des lanternes à l'intérieur de l'auberge m'aveugla, et des taches blanches dansèrent pendant un bon moment devant mes yeux. Je m'assis à la table la plus proche, fermant les paupières à moitié. Les paroles chuchotées de tous les gens autour de moi étaient hurlements, me transperçant les tympans, dans un brouhaha hypnotique qui me faisait délirer. Je deviens fou.
Un courant d'air glacé passa dans mon dos, et s'infiltra dans chaque parcelle de mon corps, de l'épiderme jusqu'à la moelle. Je sursautai. Mon bras ! Quelqu'un me brûle le bras ! Je commençais à trembler. Les muscles de mes mollets et de mes bras se déformèrent, comme criblés de milliers de flèches invisibles. Une voix assourdie fraya son chemin à travers le bruit intempestif.
— Monsi..eur.... va... ?
Soudain, on me toucha l'épaule. Je dégainai mon épée, la tête enfouie sous le bras. Ma lame coupa la chair comme du beurre, butant sur l'os. Le membre céda dans un craquement qui fit vibrer le manche de l'arme. Elle m'échappa des mains, et se planta entre deux lattes du parquet. Je me levai avec précipitation, essayant de me repérer dans cet enfer sensoriel. La lumière, l'air sec empli de l'odeur de l'alcool, les cris, tout m'assaillait. Je me cognai contre une chaise. Mon diaphragme se souleva dans un hoquet aux spasmes incontrôlables. Ma tête se mit à tourner. Quelqu'un hurla dans mon oreille et je perdis l'équilibre. On me poussa avec violence, et je tombai au sol, dans un déchirement de douleur. Deux mains empoignèrent ma cape sale et rapiécée et me jetèrent dehors. Les pavés froids se révélaient tranchants pour ma peau maintenant aussi fine que du parchemin. On me prit la tête, et on l'écrasa contre le mur de la taverne. Mon nez pissait le sang, ma mâchoire aussi. Le goût ferreux dégoulina dans ma bouche, sur mes dents et ma langue. On me lâcha, et la porte se referma dans un claquement sonore.
Je me redressai sur les deux coudes, puis sur les genoux. Je me relevai doucement, et approchai de la fenêtre à tâtons. Je la frappai du poing pour avoir l'attention de tous les clients, encore secoués par ma crise. Une fois persuadé qu'ils me regardaient tous, rendus avides par la curiosité, j'ouvris grand les yeux, les vaisseaux oculaires pour la plupart éclatés. La lumière embrasa ma rétine, comme si on me l'avait marquée au fer rouge. Je souris comme un psychopathe, dévoilant mes dents cassées et ensanglantées. Je plaquai mon visage contre le carreau, y étalai le liquide vermeil qui coulait de mes blessures, et léchai la vitre.
Mon crâne craqua sous le coup. Le tavernier avait sorti sa masse, et m'avait frappé par derrière, approchant sans que je m'en rende compte. Mes jambes lâchèrent, se tordant dans un angle peu catholique. Ma tête cogna contre le sol. Mes yeux vitreux reflétaient la folie qui s'était emparée de moi. Mon rire furieux résonna contre les murs de la taverne. C'est fini.
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E.C.R.I.T.U.R.E.S
Historia CortaLes lettres naissent, les mots coulent, les phrases se forment; Ainsi se créent toutes sortes d'aventures. Ecritures est le recueil de ces péripéties livresques, calme, au frais, sans prise de tête