chat noir

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Clang !

Je me réveille en sursaut dans l'obscurité presque complète. Qu'est-ce qui se passe ? Je tâtonne doucement autour de moi. Mes sacs sont encore là, c'est bien. Les rôdeurs profitent souvent de la nuit pour voler les autres, faut faire attention à soi. Ces sacs contiennent toutes mes maigres possessions. Un peu de nourriture et d'eau, un vieux livre défoncé, un t-shirt, un reste de bougie, et une des choses les plus convoitées quand on vit dans la rue : une boîte d'allumettes. Mais je pourrais encore me passer de tout ça, si je les perdais je trouverais bien une solution. Le plus important, c'est une photo, qu'il y a aussi, quelque part dans ces sacs. Une photo de mes filles chéries. Chaque jour, je me déchire en pensant à elle. Leur absence est un gouffre terrible, et pourtant inéluctable. Je ne sais pas si elles ont beaucoup changé, puisque de toute manière nous n'avons plus de contacts, ça doit bien faire deux ans. Elles sont parties avec leur belle-mère, qui m'a tout pris. Mêmes mes filles.

Shrrrrr...

Qu'est-ce que c'est ? Je me redresse, alerte. Comme la vue ne me sert pas dans cette ruelle sans lampadaires, je me concentre sur mes autres sens. Mais rien. Plus un bruit, plus un mouvement. Peut-être des rats ? Non, j'ai choisi une rue sans détritus spécialement pour les éviter, hier soir. Alors quoi, un humain ? À cette heure-ci ? La Lune gibbeuse, comme recouverte d'un voile, n'éclaire quasiment pas. Mais à en croire sa position dans le ciel noir, on doit environner la première heure du matin. Non, ça ne peut pas être un humain. Un ou plusieurs rôdeurs ? D'habitude ils ne chassent pas dans ce coin. Et puis je me suis assuré que personne ne me suive en empruntant différents chemins, des rues transversales, des parallèles, passer par le parc du centre, pour trouver une place décente sans personne pour me déranger. Ces gens, les rôdeurs, c'est la pourriture du monde des sans-abris. Sans valeurs et sans vergogne, ils n'hésitent pas à voler leurs compagnons. Parce que oui, on est tous dans le même bateau. Moi, je pense qu'il faudrait s'entraider au lieu de se mettre des bâtons dans les roues.

Krisss...

Bon, là, ça commence à bien faire. Je dois savoir ce qui se trouve en ce moment dans cette même ruelle avec moi. Mais j'hésite quand même à utiliser une allumette. Faut dire qu'elles sont très rares, et qu'elles sont vachement utiles quand on veut se réchauffer.

Shrrr-

— Il y a quelqu'un ?

Le bruit s'arrête net après que j'ai parlé. Tant pis, je trouverai d'autres allumettes, il faut que je sache ce que c'est. J'ouvre la tirette du sac, et saisis le petit paquet. Il m'en reste une dizaine. J'en prends une, et la frotte contre le grattoir. Je le fais si doucement par peur de casser et de gâcher qu'elle ne s'allume pas. Je réessaie, et ça marche ! La lumière ne porte pas bien loin, mais c'est mieux que rien. Je m'accroupis, et sort de ma petite cachette. Le feu projette des reflets irisés sur les murs, ça m'amuse quelques instants. Je recommence à chercher, sauf... qu'elle s'éteint ! Merde, j'avais oublié qu'il fallait que je la protège de la brise ! Je me mords les doigts. Je ne peux pas en utiliser une deuxième pour ça... Faudra faire avec.

Krrrr...

Ça semble se rapprocher de moi. Je ne vois toujours rien. Et si c'est un fou à lier ? Un psychopathe ? Et que je ne le sens pas arriver, sans mon allumette ? Non, je vais en prendre une autre. Je préfère jouer la sécurité. Je recommence le même processus, en faisant cette fois-ci attention à ne pas la perdre, et avance.

Grrr...

J'ai l'impression que ça vient de derrière les palettes en bois, un peu plus au fond. Cette allumette-là fonctionne mieux, j'arrive à distinguer le fond de l'impasse. Et puis soudain, une ombre gigantesque me le cache. Je m'arrête instinctivement. Qu'est-ce qui peut être aussi gros ? Ce ne serait quand même pas un... loup-garou ? Les histoires fantaisistes de mon enfance me reviennent en mémoire ; ces créatures de la nuit apparaissent à la pleine lune... Et ce n'est pas le cas ce soir. De toute manière, les loups-garous n'existent pas ! Je me fais vraiment des films... Merde, l'allumette est presque terminée ! J'accélère le pas. Et elle s'éteint à son tour. Dire que j'étais à deux pas... Hors de question que j'en utilise une troisième.

Tout à coup, deux billes lumineuses apparaissent dans l'air. C'est quoi, ça, encore ? Et... elles s'approchent de moi ! Reste calme, ça peut rien te faire ! Tu dois sûrement rêver ! Elles sont à deux centimètres de mes jambes. Une matière douce se frotte contre ma peau. Et c'est là que je comprends. Ma créature surnaturelle, mon psychopathe ou même mon rodeur... c'est juste un chat noir.

Je le caresse gentiment, et le ramène avec moi, dans mon refuge, qui a gardé un peu de ma chaleur. Il se love contre moi, et je l'entoure de mes bras.

Sa respiration s'apaise, je sens qu'il s'endort, et je m'assoupis à mon tour, avec une dernière pensée. C'est la première fois que je suis serein depuis des mois.

E.C.R.I.T.U.R.E.SOù les histoires vivent. Découvrez maintenant