16. Mes débuts

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Le constat était simple, ma vie avait changé et rien ne serait plus pareil désormais. Je m'en rendais déjà compte ! Néanmoins, il m'était pour l'instant difficile de concevoir que ma vie ne m'appartenait plus et qu'une autre personne la vivait à ma place!

Une toute nouvelle existence s'ouvrait à moi, remplie de différences et de règles que je devrais apprivoiser. Sera-t-elle meilleure ou pire que la précédente, je n'en avais pas la moindre idée... Le plus fou était de penser que j'avais un passé commun avec une "autre", mais que j'étais la seule des deux à le savoir! Et de ce que j'en avais compris, jamais je ne pourrai récupérer cette vie-là... Qui n'a jamais rêvé de tout quitter dans le but de tout recommencer? Sans doute un nombre considérable d'individus. La seule nuance était que moi, je n'avais jamais désiré que cela arrive!

Mon unique réconfort résidait dans le fait de savoir que mes proches n'allaient pas souffrir de ma disparition puisque pour eux j'étais toujours là-bas...

J'aurais probablement dû crier, pleurer ou me rebeller, mais je savais au fond de moi que ce que Noah m'avait dit jusqu'ici était la stricte vérité, j'avais changé. Et même si je ne l'avais pas souhaité je savais que j'étais désormais à ma place, plus que je ne l'avais jamais été... J'en étais là de mes réflexions alors que cela faisait déjà cinq jours que nous étions sur la route.

Durant mon premier soir à l'hôtel Noah m'avait encore précisé certaines choses :

- Tu as besoin de repos. Au début, il est impératif d'économiser ton énergie, car le changement est toujours en cours. Mais tu verras que rapidement tu n'auras plus la nécessité de dormir, du tout. Tout comme tu n'as déjà plus besoin d'un apport extérieur d'énergie. Ce qui n'empêchera pas ton corps de ne jamais décliner et toutes tes capacités d'être surdéveloppées.

À ce moment-là, j'étais encore à m'interroger si tout ce que je venais de découvrir était bien réel. Pourtant, je n'avais déjà plus le choix de constater que depuis mon réveil au manoir j'avais le pouvoir de percevoir des bruits et de sentir une multitude d'odeurs jusque-là inconnues, à tel point que l'entier de ma tête semblait me faire souffrir. La lumière m'incommodait de manière anormale et je n'avais ressenti ni le besoin de boire ni celui de manger, alors même qu'il s'était passé des jours depuis mon dernier repas! J'en avais bizarrement pris conscience seulement au moment où Noah me l'avait spécifié, trop perturbée pour m'en rendre compte avant.

La dernière phrase de Noah avait tourné en boucle dans ma tête, ne comprenant pas ce qu'il avait voulu dire par "ne plus décliner" et cela m'avait amené à me demander depuis combien de temps lui et ses amis étaient devenus ce qu'ils étaient.

Les journées s'écoulaient toutes de la même manière. Nous nous arrêtions le jour quand la luminosité et le bruit étaient à leur maximum et roulions la nuit. Noah n'avait plus essayé de me parler du phénomène de la dissociation, semblant me laisser intégrer ce qu'il m'avait déjà appris. Il se contentait d'être présent et attentif, et le savoir près de moi était un réel réconfort. Lui et les autres me permettaient de me familiariser avec mon nouvel état sans me brusquer, de découvrir et d'apprivoiser les sensations inédites que je ressentais en permanence et la personne que je devenais. Ils m'avaient expliqué que rapidement je serais moins incommodée par toutes ces perceptions désagréables, et que mon cerveau ferait bientôt la part des choses, ne sélectionnant que l'important. J'apprendrai aussi à m'en servir, et même si je n'avais pas encore la moindre idée de ce qu'ils entendaient par là, je n'avais pas de doute qu'ils finiraient par me le dire.

Il fallait demeurer prudent au cas où je finirais par être repérée à cause de mes ondes et ceci malgré toutes les précautions que nous prenions. Je constatai tous les jours leur inquiétude face à ce danger potentiel, mais celui-ci restait terriblement flou pour moi. Je ne savais pas réellement ce que je risquais et me gardais bien de le leur demander ! Au moins, cette cavale me permettait de faire un peu mieux connaissance avec eux. Je sentais également combien ce lien venu de nulle part et qui m'unissait à Noah se renforçait sans que l'on ait besoin de faire quoi que ce soit et sans que je comprenne vraiment d'où cela venait. Dès que j'en avais l'occasion, je l'observais et m'étais rendu compte qu'il en faisait autant.

Ce matin-là, alors que nous étions arrêtés dans un nouveau motel, Nadia était près de moi. Elle m'avait proposé de l'accompagner dehors et nous étions assises sur un banc. Il était tôt et la pénombre n'avait pas encore totalement disparu. Je contemplais le sol, en songeant à quel point il devait faire froid étant donné le givre qui entourait les brins d'herbe à nos pieds. Seulement le froid ne m'atteignait plus! Moi qui avais toujours détesté l'hiver je n'aurais désormais plus jamais l'opportunité de m'en plaindre et je ne savais pas encore si je devais m'en réjouir ou m'en attrister...

J'avais trouvé en Nadia une présence féminine réconfortante et j'avais le sentiment que c'était réciproque. Je ne doutais pas que nous allions devenir de grandes amies toutes les deux. Elle était jolie avec ses cheveux châtains bouclés qui lui descendaient en cascade jusque sur les épaules, en outre je retrouvais en elle le côté calme et réservé qui me caractérisait. J'avais pu observer qu'il était difficile pour elle de s'éloigner de David et vice versa. Lui était plutôt discret et je n'avais eu que peu d'occasions de lui parler à vrai dire. Par contre, je l'avais surpris à plusieurs reprises à me regarder d'une drôle de manière comme si, contrairement aux autres, il désapprouvait ma présence parmi eux. Cela n'avait été que des regards fugaces et je n'étais pas persuadée que ce fut réellement ce qu'il pensait, mais c'était ce que j'avais senti.

Aucun d'eux ne voulait me brusquer et ils respectaient ma discrétion et mon manque de conversation. Ils avaient vécu la même chose et savaient exactement ce que je pouvais éprouver.

- Tu sais, je ne sais pas s'il te l'a dit, mais depuis sa dissociation Noah a un sixième sens extrêmement développé, j'entends par là qu'il peut ressentir des choses qui ne sont pas encore arrivées. Il est le seul à l'avoir.

- Non, je ne savais pas, lui répondis-je surprise par cette révélation.

- Il a senti que tu allais te dissocier avant même que tu émettes un signal. C'est grâce à ça qu'il s'est rendu en France pour te chercher et te protéger. Il savait que tu serais essentielle pour lui...


Tout a changé ce jour là!Où les histoires vivent. Découvrez maintenant