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Daniela


C'était le second meeting avec Fräulein Hadler.

Le premier avait eu lieu trois semaines après l'enterrement de Nana ; elle était de nouveau de passage à Rio et, me sentant enfin capable d'aligner deux idées cohérentes, on avait fini par se voir.

Ses yeux noisette pétillaient alors qu'elle feuilletait le book des projets de Guiomar qu'on avait menés avec l'équipe cette année.

─ Tout cela est remarquable, dit-elle, hochant la tête. Pour une si petite ONG, c'est tout à fait impressionnant.

C'était bien mon avis aussi, et ce n'était pas faute de bûcher.

─ Merci beaucoup.

Malgré mon air impassible, j'étais ravie qu'elle soit si admirative. Elle referma le gros book noir, que j'avais moi-même décoré de photos souriantes des femmes qui passaient régulièrement chez nous.

─ Ecoutez, Mlle Soares. J'ai une proposition à vous faire. Je sais que vous avez un pied à Paris et j'aimerais savoir si vous êtes intéressée pour mener un projet humanitaire pour l'une des deux associations que je soutiens là-bas. Connaissez-vous la SAF ?

─ Naturellement.

La SAF, Solidarité et Amitié entre Femmes, était une grosse ONG, au budget de plus de 20 millions d'euros, qui travaillait souvent avec Action contre la Faim, la Croix Rouge et d'autres organismes massifs du genre.

J'hochai la tête.

─ Ma très bonne amie Veronika de Guitry gère le pôle pour les femmes en difficulté qui a ouvert cet été à Paris et aurait besoin de la vision salutaire d'un élément efficace tel que vous. Je vous propose 40k euros par an pour fignoler la création de ce nouveau service. J'aimerais que vous fassiez exactement la même chose que ce que vous avez fait de Guiomar.

─ Je vous remercie chaleureusement de votre offre et de votre intérêt. En effet, je me rends régulièrement à Paris mais je dois dire que je ne suis pas intéressée pour y travailler... Ma vie est ici à Rio.

─ Je comprends. Je vais m'exprimer en toute transparence : je serais ravie de vous avoir comme chef de projet. Pouvez-vous me promettre d'y réfléchir ?

─ Bien sûr.

─ Rappelez-moi avant décembre. J'ai un autre profil en attente, un jeune homme, mais sachez que vous avez ma préférence.

Nous nous levâmes de concert. Elle me tendit la main et je la serrai. Je lui souris.

─ Merci de votre confiance, Fräulein Hadler.

─ Tout le plaisir est pour moi, Mlle Soares. A bientôt j'espère.

L'allemande partie, j'éteignis toutes les lumières de Guiomar, attrapai ma veste et sortis dans la soirée douce de novembre.

L'automne n'existe pas à Rio, mais même dans son invisibilité, il y est beau.

Je pris la direction de chez moi, marchant lentement, perdue dans mes pensées.

C'était une superbe offre. Intéressante, bien payée aussi. J'appréciais Fräulein Hadler non seulement parce qu'elle avait fait un don généreux à Guiomar mais aussi parce qu'elle avait vraiment bonne presse dans le milieu. Elle était peut-être trop amicale, mais carrée et sérieuse en ce qui concernait les affaires. J'étais tentée, compte-tenu qu'après tout ce dur labeur, Guiomar tournait pratiquement toute seule ; il me suffirait de nommer Nikita à la direction de l'annexe pour avoir l'esprit tranquille. Je savais aussi que, si je partais, mon cousin Fabio, co-fondateur de Guiomar, serait ravi d'en reprendre la direction permanente. Oui mais qu'est-ce qui m'appelait à Paris exactement ? J'aimais Paris, certes, mais pas grand-chose. Tandis qu'à Rio, à Rio, j'étais chez moi, auprès des miens.

La plupart des gens sortant du travail, les rues baignées d'une lumière dorée étaient très fréquentées. Deux gamins du quartier, Martim et Filipe, me dépassèrent en courant derrière un ballon de foot.

─ Oi, Daniii !

─ Oi, rapazes !

Pour les taquiner, je feintai Martim, chipai la balle et dribblai sur place. Filipe se rua sur moi mais je l'esquivai, espiègle. Il leva les yeux au ciel et croisa les bras sur son torse chétif.

─ Dani, devolve a bola... !!

─ Haha ! Claro.

Je lui fis la passe en souriant et ils me saluèrent d'un geste rapide de la main alors que je m'éloignais.

J'ajustai la bretelle de mon sac sur mon épaule et réalisai brusquement à quel point il était léger. J'avais oublié mon ordinateur portable au bureau.

Je fis immédiatement demi-tour et traversai l'avenue en sens inverse.

Je reçus un SMS de Soraya en chemin, et dressai un sourcil tout en pressant le pas vers Guiomar.


Soraya

Bon, t'as fini de faire la gueule ? Je t'ai dit que j'étais désolée. Je sais qu'Alessio avait des problèmes avec Chloé qui n'ont rien à voir avec toi. Jules m'en a parlé.


Dani

Tu es toujours super copine avec elle ?


Soraya

Pas vraiment. Elle est furieuse d'avoir été plaquée, ça se comprend, mais je n'ai pas aimé ce qu'elle a dit sur toi. Bref, je t'ai défendue. Allez, tu me manques, quoi, c'est con. Appelle-moi.


Je tapai une réponse rapide.


Dani

OK. Ce soir.


Je montai quatre à quatre les marches menant à la porte de Guiomar, insérai la clef dans la serrure ; brusquement, mon cœur se mit à battre plus vite ; un fourmillement parcourut ma nuque, mes épaules.

 J'éprouvai l'envie intense de me retourner et y cédai.


Le Versant du Soleil (HB tome 3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant