NOTES EPERDUES

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Le défi : 1h pour écrire une nouvelle sur le thème "FLASHBACK".

Nouvelle écrite par : Clement Long

Instagram : @clement.long_auteur

Wattpad : @ clement.long


— Allez, ma vieille, tu peux le faire.

Je prends une grande inspiration et sors de la voiture, garée non loin de la maison. Le crissement du gravier sous mes pas emplit le silence, lourd et nauséeux. Une par une, je monte les marches du perron. La porte est devant moi. La peinture blanche, un peu écaillée par endroits. La vitre en losange, décolorée par le temps. Exactement comme dans mes souvenirs. Rien n'a changé. Le banc contre le mur, les tubes métalliques qui font du bruit quand le vent les remue. Je farfouille dans mon sac, et mes doigts la touchent. Je l'extirpe délicatement. Elle est là, sur ma paume. La clé. La clé qui va m'ouvrir la porte. La clé de Maman. Toute tremblante, je l'insère dans la serrure, et tourne. Un petit cliquètement, et le battant se relâche. J'attrape la poignée, et...

J'entre. Le lustre surplombe le hall d'entrée, au-dessus du tapis rougeâtre qui repose au milieu de la pièce. Les boiseries cirées, abîmées par les années, reflètent encore un peu la lumière qui s'infiltre par le petit toit de verre.

— Ah...

Je soupire. Et ce n'est que l'entrée. Je pose la clé sur le petit présentoir coquille Saint-Jacques, à côté des autres. Je défais mon écharpe et enlève mon manteau. J'avance sur le parquet grinçant et entre dans le salon. Une pile de journaux et de magazines est posée sur la table basse, en face de la vieille télévision cubique. Les rideaux verts canard encadrent les fenêtres à la française. La machine à coudre est exposée sur une petite desserte, à côté de la vitrine. Sur les petites étagères trônent tout plein de bibelots, ramenés de nos nombreux voyages. Il y a même le petit éléphant en argile qu'on avait trouvé dans une boutique minuscule artisanale, en Afrique du Sud. Ça doit bien faire vingt ans. Je passe mon doigt sur le buffet. Tout est recouvert d'une tonne de poussière.

J'arrive dans la cuisine. Je m'assieds. Sa tasse de thé est encore là, sur le plan de travail. La boîte à sucres ouverte juste à côté. Le liquide doit avoir refroidi depuis longtemps, mais l'odeur d'eucalyptus se diffuse dans toute la pièce. Ah, l'eucalyptus. Elle s'y shootait presque. « Pour ma toux », qu'elle disait.

Ça fait bizarre, d'être de nouveau ici. Tout est... inchangé. Le carrelage noir et blanc, les placards rose pâle... Et maintenant, elle n'est plus là. Je me lève. Il faut que je me sorte ces idées néfastes de la tête. Je vais jusqu'au salon d'étude. Les canapés de cuir sont eux aussi poussiéreux, comme les rangées de livres qui tapissent les murs. Au centre, le bureau de Papa, avec la photo de nous quatre. "Papa, Maman, Axelle et Victor". À tout casser, je dois avoir douze ans. Mais l'élément principal, c'est le piano à queue. Mon piano. Le bois blanc efface les années en lui donnant plus de majesté que jamais. Je tire le tabouret, et m'y assieds. J'effleure une touche, et... tout me revient. Quand je passais mes journées assise ici, face à la fenêtre, contemplant le parc alors que je jouais. Quand Victor venait râler parce qu'il en avait marre de m'entendre. Quand Papa s'installait à son bureau et écoutait pendant qu'il classait des documents. Quand Maman s'arrêtait dans l'encadrure de la porte... Et maintenant... Plus rien. Plus rien ne sera plus jamais pareil. Elle ne sera plus jamais là.

Non, je peux pas, je peux pas le faire. Je peux pas jouer. En me relevant, je bouscule le tabouret sur lequel étaient posées toutes mes partitions.

— Merde...

Tout s'éparpille, en-dessous du canapé et du piano. Les feuilles se mélangent. Je commence à les rassembler, mais...

La Sérénade sur l'eau.

La page de partition tremble entre mes doigts. C'est mon morceau préféré. Celui de Maman aussi, d'ailleurs. Je la place sur le pupitre, et me rassieds. Mes doigts retrouvent tout de suite le mouvement. Pied sur la pédale, j'enfonce les touches avec délicatesses. Rythme binaire à la main gauche, chant à la main droite. Je me balance doucement, et ferme les yeux. On croirait être sous l'eau, dans un monde aquatique. La mélodie feutrée me transporte. Mon père est là, ma mère aussi. Ils me font signe, tous les deux. Le soleil entre par les fenêtres. Le ficus verdit et se redresse. La musique s'envole, et la poussière aussi. Je frissonne. Mes notes éperdues résonnent dans toute la demeure. L'accord final termine le morceau.

Jouer, ça m'a comme... débloquée. Je suis apaisée. Je suis prête.

— Au revoir, Maman.

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