Chapitre 26 : Gliome (époque : 2124) (2/2)

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Le médecin retire ses lunettes et expire d'impuissance, avant de poursuivre :

- A cet état avancé et avec nos moyens actuels, nous ne pouvons que proposer un traitement symptomatique pour diminuer les douleurs, mais aucun traitement curatif. Une chirurgie serait trop risquée, les métastases sont éparses, tandis que le lymphome survivra certainement à la chimiothérapie.

- Je comprends...

William Andrews se caresse les mains en quête de compassion et de sécurité. Il redresse la tête en direction du médecin.

- Merci Docteur. Nous avions évoqué cette possibilité, ma femme préfère profiter de ces derniers moments. La prescriptions des antidouleurs correspond à son souhait...

- Très bien, répond le médecin en remplissant un dossier afin de confirmer les dires.

- Mais pas au mien, Docteur.

Le cancérologue est surpris, puis saisi d'empathie. Il s'assied à côté du mari de sa patiente.

- Permettez-moi d'être direct encore une fois. Cette pathologie est une merde. Une merde totale.

- Oui, je vous le confirme.

- En tant que médecin, je me dois de vous rappeler que vous pouvez tout de même en reparler ensemble et choisir une opération et un traitement chimiothérapique. Considérez bien les options.

- Je vais en parler avec elle.

- Mais en tant qu'époux également, comme elle l'a conclu, je vous le déconseille également, même en sachant ce que ça vous coûte.

W. Andrews arrête ses yeux clairs vers la seule fenêtre du couloir. Alors qu'un jet de lumière soulagerait le besoin de sérotonine des malades en attente, le ciel s'avère cruel avec celles et ceux qui le contemplent, magnifique pour les heureux et horrifique pour les souffrants. Il ne laisse passer que l'ombre et le bruit de la pluie qui s'effondre contre les murs du Centre.

- Le savez-vous Docteur ? interroge avec désespoir l'homme d'une voix douce, les larmes agrippées aux paupières. Pouvons-nous réellement mesurer la douleur d'un homme perdant le support de sa raison de vivre ?

Le médecin pose sa tête contre le mur et regarde également la petite fenêtre en hauteur dans le long couloir.

- Je vous présente mes excuses Monsieur, ce n'est pas ce que je voulais dire. Je comprends.

- Combien de temps ? demande-t-il dans un dernier souffle. La concrétisation de la réponse dégrade l'apparence de l'homme seconde après seconde.

- Un mois, deux, maximum, répond le cancérologue d'une voix professionnelle.

- Vous me demandez d'accepter la mort de ma femme de son vivant... Quelle folie a-t-elle emportée la passion des hommes ?

Le médecin ne dit mot. Il reste quelques minutes en silence aux côté de William Andrews, avant de se lever pour repartir. Le mari attrape la main du soignant et lui adresse un regard profond accompagné d'une sonorité chaleureuse presque inappropriée en ces circonstances :

- Merci profondément Docteur, nous allons suivre votre avis.


Fiche historique : Lilas Mill n'a pas connu sa famille, tous morts durant la résistance économique et ses suites. Brillante jeune femme blonde aux yeux verts, elle élève seule ses deux petits frères dans un orphelinat.

Elle réalise des études supérieures à la faculté de Physique. C'est en classe de physique quantique appliquée qu'elle rencontre William Andrews, son jeune Professeur tout juste promu à ce grade universitaire, qui se tournera par la suite vers des études d'Histoire et d'Anthropologie conformément aux aspirations familiales.

Afin de payer ses études, elle travaille dans un organisme bancaire, puis d'assurances. D'un caractère engagé, elle refuse de donner vie dans ce monde. Elle milite longtemps contre les sociétés américaines de production d'énergie, tout en sachant que celles-ci restent vitales pour l'ensemble de la planète... la vie est sa propre mort.

Lilas Mill aime Arthur Rimbaud, qu'elle lit et cite depuis son adolescence. Durant les dernières années de sa courte vie, Lilas Andrews devient pratiquante. Elle, jadis tellement pessimiste, se met à croire en beaucoup de choses. Elle aime la lumière, l'été, les animaux, les hommes et le Christ. Elle répète que la spiritualité, possiblement matérialisée dans la croyance du Christ, était la seule bonne raison d'aimer l'homme, puisque si celui-ci est capable d'une telle imagination, d'une telle dévotion, c'est qu'un espoir curatif est présent.

Aussi son mari, bien que profondément cartésien et athée, lui tailla un Jésus Christ en bois (ce qui lui prit une semaine entière et de nombreuses écorchures) et le déposa dans le cercueil blanc aux côtés de deux poèmes soigneusement sélectionnés.

Le premier, vous le connaissez. Le second est également d'Arthur Rimbaud :

« En ce temps-là, Jésus habitait Nazareth. L'enfant croissait en vertu, comme il croissait en âge. Un matin, quand les toits du village se mirent à rosir, il sortit de son lit alors que tout était en proie au sommeil, pour que Joseph, en se levant, trouva le travail terminé. Déjà, penché sur l'ouvrage commencé, et le visage serein, poussant et retirant une grande scie, il coupait maintes planches de son bras d'enfant. Au loin apparaissait le soleil brillant, sur les hautes montagnes, et son rayon d'argent entrait par les humbles fenêtres... Voici que les bouviers mènent aux pâturages leurs troupeaux ; ils admirent à l'envi, en passant, le jeune ouvrier et les bruits du travail matinal.

« Qui est cet enfant ? disent-ils. Son visage montre une beauté mêlée de gravité ; la force jaillit de son bras. Ce jeune ouvrier consommé ; et jadis Hiram ne travaillait pas avec plus d'ardeur quand, en présence de Salomon, il coupait de ses mains habiles et robustes les grands cèdres et les poutres du temple.

Pourtant le corps de cet enfant se courbe plus souple qu'un frêle roseau ; et sa hache, droite, atteindrait son épaule. » Or, sa mère, entendant grincer la lame de la scie, avait quitté son lit, et, entrant doucement, en silence, elle aperçoit, inquiète, l'enfant peinant dur et manœuvrant de grandes planches... Les lèvres serrées, tranquille, des paroles inarticulées tremblaient sur ses lèvres.

Le rire brillait dans ses larmes... Mais tout à coup la scie se brise et blesse les doigts de l'enfant qui ne s'y attendait pas. Sa robe blanche est tachée d'un sang pourpre, un léger cri sort de sa bouche... Apercevant soudain sa mère, il cache ses doigts rouges sous son vêtement ; et, faisant semblant de sourire, il lui dit : « Bonjour, mère ! » Mais celle-ci, se jetant aux genoux de son fils, caressait, hélas ! ses doigts de ses doigts et baisait ses tendres mains en gémissant fort et baignant son visage de grosses larmes.

Mais l'enfant, sans s'émouvoir : « Pourquoi pleures-tu, mère qui ne sais pas ?...

Parce que le bout de la scie tranchante a effleuré mon doigt ! Le temps n'est pas venu où il convienne que tu pleures ! »

Il reprit alors son ouvrage commencé ; et sa mère en silence et toute pâle, tourne son blanc visage à terre, réfléchissant beaucoup, et, de nouveau portant sur son fils ses yeux tristes :

« Grand Dieu, que ta sainte volonté soit faite ! » (Jésus de Nazareth, In Œuvres diverses).

Identité : Lilas Mill épouse Andrews

Naissance : 2083 - Décès : 2124

Cause décès : Cancer du cerveau.

Dr J. Stevens FACE aux GARDIENS [ShortList Watty22... ss Edition] (Partie 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant