" Du pain ! " S'exclama-t-il bruyamment, " Voilà ce qui accompagne parfaitement chaque repas. Et non pas tes bêtises de... de... Comment les appelles tu déjà ? "
" Des galettes de riz Papa ! Je te l'ai déjà répété maintes et maintes fois... Je me demande si il t'arrive parfois de m'écouter réellement. " répondit en retour le freluquet tandis qu'il contemplait son visage dans le pauvre reflet que renvoyait le métal de la caisse enregistreuse.
Salem n'appréciait que moyennement la sensation qui l'habitait à chaque discussion avec son père. L'irascible homme se montrait en effet bien trop souvent dédaigneux, et il semblait qu'il refusait autant que faire se peut d'être ouvert d'esprit. Un trait énervant donc.
" Bon, puisque visiblement tu n'écoutes toujours pas ce que je te dis, " Lança Salem à son père trop affairé à ranger les produits convenablement dans les rayons de l'épicerie pour lui prêter oreille attentive " Alors je m'en vais. Appelle-moi dans l'après-midi si tu as besoin d'aide avec les clients. " " Hmmm. "
Il attrapa son sac, se dressa de son siège, et entama sa sortie. Une fois dehors, force était de constater que rester à l'intérieur dans un espace climatisé devenait soudainement une idée attrayante à nouveau. La chaleur écrasante semblait avoir imposé sa loi et il n'y avait dans les rues que quelques rares badauds trop curieux pour faire du lèche-vitrine. À sa droite se présentait l'Avenue Victor Hugo qui menait en quelques minutes au domicile familiale, tandis qu'à gauche se présentait la devanture de la supérette, avec ses fruits et légumes, ainsi que son voleur en train de subtiliser quelques melons. Les époques changent mais il semblait ici que la vie s'était figée pour ne plus jamais reprendre sa course. Une minute ! Quelqu'un en train de piquer des fruits ?!
Ni une ni deux, le jeune homme jeta son sac à terre et se lança à la poursuite du mécréant. Le voler ? Lui et son père que tout le monde dans le quartier connait et adore ? Qui diable pouvait donc bafouer à ce point la confiance construite durement tout ce temps durant ?
La poursuite devenait de plus en plus délicate alors que les secondes défilaient. Salem était plutôt athlétique, mais il faut dire que son adversaire semblait voyager au fil du vent. Il était d'une agilité extraordinaire, et on pouvait le voir serpenter avec une aisance sans pareille entre les ruelles de la petite ville. Tantôt à gauche, puis à droite, à gauche encore, sautant par dessus les poubelles et glissant sous les cartons, rien ne semblait pouvoir le stopper dans sa course effrénée, tant et si bien que l'audacieux gamin qui s'était mis en tête de le rattraper fût bientôt contraint d'abandonner.
Il était essoufflé. Il faut dire que son poursuivant se débrouillait bien, cette fois. Mais ce qui pour d'autres étaient une aventure affreuse de vol à raconter à leur famille, était pour lui toute sa vie. Il ne connaissait pas la défaite, il ne pouvait pas se permettre cela. Sans le moindre sou en poche, et sans éducation, il ne connaissait que la rue et la misère. Et c'est cette connaissance qui faisait de lui qui il était, un pitoyable voleur oui, mais un pitoyable voleur extrêmement doué. C'est en réfléchissant à cela qu'il vogua de ruelles en ruelles, posant finalement le pied dans l'enceinte d'une vieille bâtisse abandonnée donc la lumière filtrait juste suffisamment pour permettre d'observer un état d'insalubrité important.
" Anya, Anya tu es toujours là ? "
" Je... Je suis là, grand frère. " déclarait plus loin dans la pénombre une voix faible et toussotante.
" Anya... Comment te sens-tu ? S'il-te-plaît, dis-moi que tu vas bien. " s'enquit le grand frère en s'avancant vers elle.
Une quinte de toux plus prononcée fut sa réponse. Il se précipita vers elle et lui offrit son épaule pour s'y appuyer. "Eh, eh ! Tout va bien maintenant, je suis là. Regarde, j'ai réussi à te ramener des médicaments, de quoi te préparer des serviettes humides, et j'ai même pu te trouver cela. " Il montrait dans sa main une pièce de vêtement contenant les recettes de son méfait accompli plus tôt. " J'espère que tu les aimes toujours autant. "
Elle retirait le tissu pour voir apparaître quelques pêches à l'apparence alléchante.
" Oh ! Des pêches, mes fruits préférés ! Grand frère, tu t'en souviens encore ? Oh merci, merci... " Souffla-t-elle alors qu'une goutte perlait au coin de son oeil.
" Et jamais je n'oublierai. " déclara celui pour qui les larmes avaient déjà entamé leur course, en étreignant sa sœur.
