Au commencement, j'étais ton monde. Tu n'en avais pas conscience, mais j'étais là. Puis, quand le moment est venu pour toi, pour nous, je suis devenu autre chose. Une chose qui te suit, qui peut te surprendre lors de tes premiers pas ou bien te faire peur. Mais je ne suis pas là, avec toi, pour te faire du mal. Vois-moi comme un compagnon de voyage plutôt.
Je ne parle pas, ne mange pas, ne bois pas, ne sens pas, ne touche pas. Ou, du moins, je fais semblant. Comme un mime que tu aperçois dans la rue ou à la télé. Je te suis, je t'observe, je te copie. Mais jamais je ne vis réellement. Je m'adresse à toi, mais j'appartiens à tout le monde en réalité. Je suis à la fois partout et nulle part. Un entre-deux parfaitement équilibré. Le visible et l'invisible. Le rêve et la réalité. Je n'existe que par la force de ta propre existence, ainsi que celle de ce qui t'entoure.
Autrefois j'étais tout et rien à la fois. J'étais ce que tu pourrais appeler « la Fin », tout comme j'étais « le Commencement ». Mais ces rôles ont déjà leurs interprètes. Il n'y avait rien avant moi, et aujourd'hui je continue d'être partout. Quand la Nuit se repose sur ta maison, quand les odeurs sont fraîches et subtiles, quand les sons deviennent sensibles et bruyants, quand le froid parvient à s'immiscer dans chaque pièce, je suis là. Je suis partout autour de toi mais tu ne me sens pas. Quand je peux enfin enrouler mes bras autour de toi tel un feu de cheminée qui enlace ses bûches, tu ne me sens pas. Je ne fais aucun bruit, je ne dégage aucune odeur, mais en de rares moments, je trouble ton sommeil. Seulement, quand cela arrive, la Peur est au courant de mes agissements et désire étouffer l'amour que je te porte. Tu es alors persuadé qu'une présence, la mienne, t'oppresse, te scrute et te veut du mal, tandis que mon regard attendri contemple avec admiration le petit être que tu es devenu. Tu cherches un réconfort que je ne peux t'apporter car il est, dès lors, empoisonné par la Peur comme un cadavre le ferait pour un puit. Tu veux les individus qui t'ont bercée, choyée, aimée. Je suis la main qui agrippe ta cheville mise à nue lorsque tu te redresses. Alors tu cries. Tu pleures. Tu appelles à l'aide.
Quand tes parents parviennent à te persuader que je n'existe pas, tu t'endors. La Peur repart alors, repue du bonheur qu'elle ne cesse de m'arracher des mains. Elle rit, je pleure. Lorsque le Jour se lève et foule ton jardin, je suis forcé de me séparer de toi. Partiellement. Je me cache, j'attends et je suis à l'affût de chacun de tes mouvements. Je te suis où que tu ailles, j'investis le moindre espace qu'il m'est permis de parcourir, je m'accroche désespérément à toi et à ce qui t'entoure. Je te vois. Je t'entends. Je goûte chaque instant de ta vie sous la lumière du jour. C'est tumultueux, aventureux, parfois dangereux. Quoi qu'il en coûte je resterai avec toi. Même si tu me détestes quand la Nuit fait son nid, quand la Peur s'invite et que mon corps sans frontière t'intimide, et même si je ne suis pour toi qu'un fantôme une fois le Jour arrivé, sache que je t'accompagne au-delà de la mort. Tu seras alors aveugle et sourd, mais moi, qui suis les ténèbres précédant le Commencement et les zones inconnues subsistant à la Fin, je veillerai sur toi. La Peur ne pouvant atteindre la demeure des défunts, je pourrai enfin te prendre dans mes bras et te bercer près de mon cœur, aux abords de mon âme, jusqu'à ce que moi-même je disparaisse.
Je suis à toi autant que tu es à moi. Je me déforme, me transforme, fusionne. Je suis l'ombre qui te suit.
Ombre portée
Fin
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Short StoryUne petite idée qui m'est venue, et qui j'espère vous plaira également :)