Prologue

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L'odeur de la mer chatouille mes narines. À la fois forte et salée, celle-ci me rappelle que j'ai bien quitté Kansas City et j'y éprouve un certain soulagement. J'inhale profondément l'air chaud et humide. Il faut dire que tous les ans c'est le même casse-tête. Mon père insiste pour que j'accompagne le reste de la famille camper à l'autre bout du monde, avec pour seul argument que ces moments passés à cinq permettent de resserrer les liens. Je n'en crois pas un mot. Fort heureusement, je parviens toujours à persuader mon géniteur de me laisser retrouver mon unique tante à Jacksonville.

–      Abby ! Ma grande !

Tante Kristen me saute dessus puis me sert fort dans ses bras. Elle aussi m'a manquée. Beaucoup plus que la mer.

–      C'est fou comme tu as encore grandi... une vraie jeune femme, soupire-t-elle en se desserrant de mon étreinte afin de mieux m'observer. Tu ressembles de plus en plus à ta mère.

C'est exactement le genre de petite phrase qui me fait bondir d'horreur. J'ai beau aimer ma mère d'un amour inconditionnel et la trouver vraiment très belle, je ne veux pas lui ressembler. D'aucune manière. Pour tout un tas de raisons. Tante Kristen n'éternise pas plus longtemps nos retrouvailles. Sans perdre un instant, et sans me laisser le temps de réagir, elle se précipite sur mes valises pour les monter à l'étage. Je sais qu'elle m'attendait avec impatience, comme chaque été que je passe ici depuis mon enfance. Divorcée et sans progéniture, il est vrai que la solitude a tendance à avoir raison d'elle et à la peser.

Je la suis au pas de course jusqu'à la chambre d'ami que j'occupe lors de mes séjours. Celle-ci n'est pas bien grande mais la vue sur la mer me fait oublier cet inconvénient.

–      Rien n'a changé, comme tu peux le constater, dit-elle d'une voix distraite.

Je reste silencieuse. Elle a raison et ça me tue de l'admettre. Rien n'a changé. Je secoue vivement la tête, soudainement envahie par les émotions.

Pense à autre chose.

–      Bon, je te laisse t'installer tranquillement, souffle Kristen avant de refermer la porte de ma chambre.

C'est là l'une des principales qualités de Kristen : elle n'est pas curieuse pour un rond. N'importe qui d'autre m'aurait assailli de questions concernant la vie à la maison. Kristen, elle, est trop paresseuse pour s'y intéresser. Ou bien, elle préfère ne pas connaître ce qu'on ne lui dit pas.

Je m'effondre sur le lit et observe la minuscule pièce. Les murs ont toujours cette même et horrible couleur pâle rappelant une chambre d'hôpital. Je grimace. Des photos de ma mère et Kristen adolescentes sont posées sur la commode en rotin. Ma mère a l'air heureuse, vraiment heureuse... C'en est troublant de la voir ainsi.

Je songe aussitôt à elle et à mon père. J'attrape mon portable pour les prévenir de mon arrivée. La conversation n'excède pas la minute. Juste le temps de leur dire que je suis arrivée en un seul morceau et c'est tout. Je soupire en raccrochant.

   Rien n'a changé.

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