Un lac secret

« Moi, j'aime bien aller au parc avec ma maman. Surtout quand il y a plein de jeux.

Ici, il y a plein de jeux ; et puis, c'est joli, à côté de la forêt.

Maman, elle est sur le banc. Tiens, elle me sourit ! Je l'aime bien, ma maman. Elle est gentille. Mais, en ce moment, elle est souvent fatiguée.

Hier, ma copine m'a dit qu'il y avait un lac très très joli, au parc. « Même qu'il est secret », qu'elle m'a dit. Je lui ai bien répondu, que les lacs secrets, ça existait pas. Mais vu qu'elle m'a dit « t'es même pas capable d'y aller ! », bah, je vais voir quand même au cas où...

Maman dort sur le banc. Faut pas lui en vouloir, elle est fatiguée, en ce moment.

Mais ça tombe bien, en fait, parce que, comme ça, je vais pouvoir aller dans la forêt !

T'inquiète pas, m'man, je reviens dans cinq minutes ! C'est pas si loin après tout... mais faudrait quand même que je me dépêche.

Tiens, regarde, j'y suis déjà.

J'entre dans la forêt... c'est bizarre il fait froid. Et il fait tout noir aussi... Les arbres sont hauts...

Aïe !

Mon survêtement s'est pris dans une racine. Je vais me faire drôlement fâcher... Il est tout troué ! Et puis, si le lac secret, ça existait, je l'aurais déjà vu, non ? Brrr... J'ai froid...

Hé ! Mais c'est quoi, ça ? Saletés de feuilles... Ouille ! Des ronces !

Wahoo ! Mais c'est vrai, qu'il y a un lac ! Juste derrière ce buisson ! Et il est drôlement joli, en plus. Oh ! On dirait qu'il y a des poissons !

Tout plein de poissons !

En vrai, elle avait raison ma copine !

Il y a un grand bâton à mes pieds ! Je pourrais peut-être me faire une canne à pêche ! Il me faudrait du fil... J'ai ma corde à sauter dans ma poche. Ca peut peut-être marcher.

Un nœud. Voilà, comme ça. Je la mets dans l'eau maintenant...En espérant que ça morde !

Il est grand, ce lac. Le ciel, il est tout bleu, et les nuages, ça fait des jolies formes ! C'est peut-être comme des lettres... je sais pas encore lire, mais ça fait comme quand papa, il lit le journal.

C'est très très joli ... mais qu'est-ce qu'il fait froid ici ! Mais, c'est pas une veste, là-bas ? Ah, si ! C'est un petit garçon qui doit l'avoir perdu ici... je crois bien qu'il y a son prénom marqué sur l'étiquette, mais je peux pas le lire.

Juste la première lettre. Je crois que c'est un « A », parce que il y a la même dans mon prénom.

Mais bon, maman le lira en entier, elle. Parce qu'elle est gentille. Mais en attendant... puisque j'ai froid... je peux bien le mettre ! Elle est toute douce en plus...

Ca mord toujours pas. Mais bon, est pas très chouette, ma canne à pêche.

Tiens, j'avais pas vu, il y a un paquet d'oursons en guimauve ! Miam alors ! C'est vrai que j'avais faim en plus... »

C'est là que la petite fille commit une erreur. Alors qu'elle s'emparait avidement de la boîte de chocolats, elle ne remarqua pas le fil reliant la petite boîte en plastique, dont l'autre extrémité plongeait dans les abysses du lac.

Elle souleva la boîte pour prendre un chocolat. Le fil se tendit.

La jolie petite fille hurla lorsqu'un immense tentacule brun la attrapa par la taille et la tira lentement, tout doucement, jusqu'au cœur du lac. Elle eut beau hurler le nom de sa mère, griffer le sol terreux de ses petites mains toutes douces ; elle savait au fond d'elle-même qu'elle n'avait plus aucune chance.

Car personne ne l'entendrait.

C'était le lac des petits enfants.

Son corps s'immergea dans les eaux glacées, avec lui la veste du petit Antoine. La dernière chose qu'elle entendit, tentacule autour de la taille comprimant ses poumons, fut :

« Jolie touche, mon fils ! »

La maman de Fiona ouvrit les yeux.