Chapitre 2 :

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Cette petite est vraiment incroyable. Rester impassible lors de tout un vol, le décollage, les préparatifs, les stewards... Même moi, qui suis dans le métier depuis plus de six ans, j'ai encore des frissons de me retrouver dans les airs. Pour moi, c'est le seul moyen de m'échapper de la vie régulière et étouffante de Hong Kong, où ma famille me harcelait pour me trouver un mari et un travail. Bon, faute de m'être engagée envers quelqu'un, j'ai obtenu un emploi, mais où je ne les vois qu'une fois tous les trois mois. 

Ziyao se retourne brusquement vers moi et me lance un regard suspicieux de ses océans tempétueux  qui lui servent d'yeux. Je me rends compte alors que je la fixais pendant tout ce temps où je divaguais, encore une fois. Ma mère me dit tout le temps que je n'aurais pas ma place sur Terre si j'avais toujours la tête dans les étoiles.

_ Pourquoi tu me regardes ? 

Oh. Mais c'est qu'elle a une langue. Le son de sa voix est mélodieux et clair, bien qu'elle me parle avec sévérité. Regardez-moi ce petit brun de femme de tout juste quatre ans qui réprimande une adulte qui en a vingt-deux de plus ? Mais elle a raison : pourquoi je la regarde ? Tout simplement parce qu'elle est impénétrable, dure et vraiment...

_ Tu es très jolie, je trouve.

Pardon ? Mais qu'est-ce qui ne va pas chez toi, Guo Hyang ?  Cette gamine, jolie, avec ses doux cheveux d'un noir de jais, ces joues roses et rebondies, sans parler de ses yeux d'onyx en forme d'amande ronde... 

_ On me l'a souvent dit, à l'orphelinat. C'est d'ailleurs pour ça que mes nouveaux parents m'ont choisie. Ils m'ont dit que j'étais la petite fille la plus mignonne de tous les établissements qu'ils ont fait. 

_ Ils t'ont choisie comme fille juste parce que tu es mignonne ? je m'exclame, indignée. Tu les as déjà vus au moins ? 

Elle fronce les sourcils. Je me rends compte trop tard que j'ai touché un point sensible. 

_ Ça ne te regarde pas. Après le vol, nous nous reverrons jamais, alors ça ne t'amène à rien d'en savoir plus sur ma vie privée

Ziyao prononce le dernier mot de sa phase en appuyant sur chaque son avec ses dents serrées. Je sens cet idéogramme me frapper droit sur la tempe, essayant de pénétrer mon crâne afin que je retienne bien ce mot. Je me tais, toute penaude devant cette enfant si jeune et déjà si vieillie par ce qu'elle a vécu, ce qu'elle vit et ce qu'elle vivra. Elle tourne la tête vers le hublot, de retour à la case départ, à la différence que le mur entre nous s'est renforcé. J'allume l'écran quand j'entends la voix cristalline dont j'ai déjà gravé le tintement dans ma mémoire. 

_ Non, je ne les ai jamais vus. Ils disent qu'ils n'ont pas les moyens de venir d'Irlande jusqu'en Chine, mais ils ont envoyé beaucoup beaucoup d'argent à la maison pour que je puisse bien manger et bien m'habiller. Au début, nous pensions qu'ils faisaient ça par gentillesse, mais on a appris plus tard que c'était pour que je paraisse impeccable quand j'arriverai chez eux et que je sois belle sur les photos qu'ils prendront et qu'ils montreront à leur famille. Le directeur m'a appris qu'ils m'ont adoptée pour se dire qu'ils avaient fait une bonne action, qu'ils auront sauvé une enfant de la misère.  

J'en reste pantoise. Sa voix a la même dureté, cependant des petites gouttes tombent de ses joues. D'un geste impulsif et irréfléchi, je la prends dans les bras. J'ai peur qu'elle me repousse, mais elle n'en fait rien, sans pour autant m'enlacer en retour. Comment un couple peut-il oser prendre en charge une petite fille, qui n'a même pas cinq ans, simplement pour se donner bonne conscience ? Et les gens de l'orphelinat ! On ne peut pas révéler une telle chose, aussi vraie soit-elle, à cette même petite fille, alors qu'elle devait se réjouir d'avoir une famille ? 

J'ai brusquement envie de lui donner tout l'amour que j'ai en moi, que je n'ai pas reçu non plus étant jeune, tout celui que je n'ai pas eu envie de donner à qui que ce soit en ce bas monde. Ziyao mérite que quelqu'un l'aime, même si c'est une jeune hôtesse bornée et colérique, qui l'accompagne seulement pour dix heures. 


Prend moi sous ton aileOù les histoires vivent. Découvrez maintenant