Accroche le cadre

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Nous allons passer la journée à nous préparer avec Maëlle. Elle est arrivée en fin de matinée avec tout son attirail : robe, chaussures, bijoux, trousse à maquillage, fleurs ; sans oublier les merveilleux burgers dont on se gave avant de commencer.

J'adore la regarder manger. Je sais que ça n'a pas toujours été facile pour elle. La voir se délecter d'un plat qui la faisait pleurer par sa simple vision il y a encore huit mois me met dans un tel état de fierté. Je la vois avaler ses frites une par une, certaines sont noyées dans du ketchup tandis que d'autres salent ses doigts et croquent sous ses dents. Elle respire une joie de vivre que je lui envie. Une joie nouvelle, presque euphorique.

Elle s'essuie les mains sur une serviette déjà froissée, avale sa dernière bouchée et s'étire en souriant.

« Lavage des mains ? »

Ça, c'est sa façon de me dire que j'ai de la sauce partout sur les doigts.

Nous allons à la salle de bain en riant. Nos voix éclatent dans le couloir à peine éclairé par le vélux malgré le soleil qui réchauffe l'entièreté de la maison. Je manque de cogner mon fauteuil contre le cadre de la porte. Je ris encore. Maëlle, de son côté, râcle sa gorge. Nous entendons l'eau couler. Papa doit être revenu du travail.

« On a qu'à aller à la cuisine. On se lavera les dents après. »

Mon amie sait que je déteste être sale. C'est une vieille habitude que je veux perdre.

J'ai mis du temps à me décider sur ce que j'allais finalement porter. Maëlle n'a pas ce souci. Nous avons parcouru toutes ses boutiques préférées ensemble. La robe qu'elle a choisi est de sa couleur préférée : magenta. Ses chaussures sont fines et noires. Les bijoux qu'elle porte sont ceux de sa mère. Elle est plus ravissante que jamais. Je ne croyais pas ça possible. Elle sait ce qui lui va, ce qu'elle aime. Elle sait comment se sentir belle.

Quant à moi, je fixais la robe que nous avions choisi ensemble. Elle a dit qu'elle m'allait bien. Je sais qu'elle ne me ment pas. Mais je ne veux pas l'enfiler. Elle est belle, mais elle n'est pas pratique. Elle n'a pas de poche, et même si elle en avait, elles ne seraient pas placées aux bons endroits. Mes affaires tomberaient sûrement dès que je m'installerais dans mon fauteuil. Et puis, elle est trop longue, trop volatile. À tout moment elle peut se prendre dans mes rayons. Cela dit, Maëlle a beaucoup aimé me voir l'essayer. Ça lui ferait plaisir.

Ça plairait aussi à Milan. C'est l'essentiel d'ailleurs. C'est lui mon cavalier, après tout. Je sais que ça ne le dérange pas que je sois masculine d'habitude, – quoi que ça veuille dire – mais j'aimerais faire un effort pour une fois. C'est une soirée unique. Le bal de promo, c'est la soirée qui marque les années lycée. Ce soir je dis au revoir à mon adolescence. Je repars à zéro. Ce soir je dis au revoir à celle que j'étais. Peut-être que mettre cette robe provoquera un déclic. Ou pas. En tout cas j'aurais essayé, ce que je n'aurais jamais osé faire au lycée.

Je pince les bretelles de cette sublime robe et la soulève face à moi. Je la défie de me rendre différente. Derrière moi, Maëlle me fixe, moqueuse.

« Tu ne la mettras pas. »

Voilà que c'est elle qui me défie à présent. Elle se lève, plonge sur mon lit et s'assoit en tailleur face à moi. Ses mains noires prennent les miennes, son pouce caresse mes phalanges. Elle plante ses yeux marrons dans mon regard fuyant.

« Tu veux la porter ?

– Je serais jolie dedans. C'est toi qui me l'a dit.

– Tu n'as pas besoin de cette robe pour être jolie.

– Peut-être, mais je veux essayer.

– Et c'est tout à ton honneur, mais tu sais... C'est ta soirée, aussi. »

Je lève un sourcil et souris nerveusement.

« Ce n'est pas que ma soirée, ni celle de Milan, ni celle du lycée. C'est aussi la tienne. Tu as toute ta vie pour essayer de nouvelles choses, mais ce soir c'est la soirée qui marquera qui tu étais ces trois dernières années. Ce serait dommage que ce souvenir que tu garderas toute ta vie soit faussé, que ces photos que tu montreras à tes enfants soient celles où tu te grimes pour essayer.

– Je ne veux pas présenter celle que j'étais au lycée. Je veux présenter celle que je suis aujourd'hui, maintenant ; celle qui quitte le lycée et qui ne sait pas ce qui l'attend. Celle qui expérimente.

– Alors enfile cette robe. Expérimente. »

Maëlle veille toujours à ce que je fasse mes propres choix. Elle ne décide pas à ma place comme d'autres amies que j'ai pu avoir. Elle me donne les outils dont j'ai besoin et si je veux me frapper la tête avec un marteau plutôt qu'accrocher un cadre au mur, c'est mon problème.

Ce soir, j'accroche le cadre.

Acceptable confusionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant