Dans la postface à mon édition de Messes noires, Lord Lyllian, Jean-Claude Féray parle mieux de ce roman que Jean de Palacio dans sa préface, c'est-à-dire qu'il le critique plutôt qu'il n'en disserte, ce qui est à la fois plus personnel, plus difficile et plus risqué. Il explique surtout que ce récit, écrit à la hâte (et c'est son essentiel défaut), eut surtout pour dessein de justifier son auteur contre une accusation d'incitation à la débauche au terme d'un procès retentissant qui, sur une rumeur infondée de messe noire, se forma sur les pas d'un Oscar Wilde déjà réduit à la prison et condamné à la désaffection et à la ruine.
Mais typiquement, trop typiquement fin-de-siècle (j'ai lu « finiséculaire » quelque part : c'est trop laid et pédant) ainsi que le signale Féray, est ce récit d'un dandy inverti et riche, d'une omnisexuelle attirance d'éphèbe, qui s'essaie à toutes les extravagances et jouissances, et que la société, selon lui, pousse aux plus osés éclats à force de ne lui rien refuser, de se complaire par procuration à ses provocations ultimes ! Tous les tropes y figurent, les grotesques ampoulés, les impatiences caractéristiquement provoquées, invraisemblances psychologiques et goût des excès, dialogues shakespeariens ou diogéniens. En toute école esthétique, il est des œuvres si conformes au « manifeste » qu'elles disparaissent dans l'histoire des arts comme des caricatures indistinctes ou des applications serviles : c'est assez le cas de ce récit trop représentatif pour être original, sans surprise mais pas sans beauté, d'esprit habile à défaut de génie, que l'éditeur GayKitschCamp (GKC) élut justement pour sa dimension « LGBT » – c'est une œuvre qui vaut comme référence pour illustrer un courant voire un phénomène « sociologique » et presque que comme cela. La ciselure fin-de-siècle est pourtant presque exempte de reproches, on y rencontre l'appesantissement des symboles d'artifice et des paradoxes décalés, on y retrouve le thème de la solitude des êtres socialement incompris et rejetés, comme dans ces réflexions supérieures :
« D'où vient que l'idéal, que le sens de la vertu soit aussi manifestement contraire à nos aspirations vitales ?... je n'en sais rien, et j'avoue que là, les religions, les dogmes me dépassent. Pourquoi, en raison d'un prétexte ou d'un préjugé, veut-on nous transcréer, opposer l'esprit au corps par je ne sais quelle vanité de domination ? Kant avait un mot très juste pour qualifier cela. Et lorsqu'il voyait un homme pratiquer l'ascétisme intérieur, il murmurait : « Uebermensch... » sans oser l'approuver.
Croyez-moi, que ce soit le dieu d'amour, le dieu de colère, le dieu de contemplation, jusqu'à présent tous les dogmes et toutes les philosophies se sont plu, en nous trompant, à exalter la destruction de la race par la destruction de l'instinct. Prenez le Christ. Son geste est un sacrifice. Sa prière est une souffrance. Songez aux martyrs et aux fanatiques. L'existence est une lourde peine qu'on doit rendre passagère. La mort se charge en délivrance, presque en extase : au-delà, qu'y a-t-il ? des chimères. Et c'est pour ces chimères-là qu'on dédaigne la Terre.
Prenez maintenant Molock, Jéhovah, Allah, n'importe quel tyran de crainte. C'est un peu plus humain, puisqu'on a peur. Mais ici encore, la divinité réprouve la joie de vivre – cette mère de toutes les sensualités fécondes. – Le paradis s'ouvre à ceux qui se font le plus vite écraser.
Vient enfin Bouddah, qui prône la passivité. Pour moi Bouddha pique une flemme. Mais encore la vie passe-t-elle, tranquille en effet, dépourvue de jouissances et de plaisirs, sans qu'on veuille l'abréger.
Voilà pourtant ce que le monde accepte.
Tas d'imbéciles ! » (page 108)
« Le matin, quand je me lève, le soir quand je me couche, la nuit quand je rêve... toujours, toujours, je sens, en mon corps voluptueux et musclé, le long de mes membres blancs, un frisson indicible, un frisson de caresse et de langueur.
VOUS LISEZ
Chroniques wariennes (mes critiques littéraires)
Non-FictionDes critiques de ce que je lis, écrites peu après avoir lu.