7 / 七

27 5 0
                                    

- Sa Majesté l'empereur ! 

Toutes les personnes présentes dans la salle d'audience se prosternèrent. Seng Shan, debout parmi la foule en compagnie de Misha, tira celle-ci par la manche pour lui indiquer en silence qu'elle devait l'imiter. Elle s'inclina donc comme lui, ne le quittant pas des yeux. 

- À votre aise ! 

Il se redressa, imité par la belle étrangère. L'empereur entra dans la salle suivi par trois de ses fils. Il prit place sur son trône tandis que ses fils allèrent s'asseoir de par et d'autre du couloir qui menait à ce trône. Le premier prince se rendit juste devant son garde du corps, mais ne s'assit pas. 

- Mo Yihuai a trouvé une femme dans... dans la clairière non loin de chez lui qui ne vient pas d'ici. Il est venu nous la présenter. 

Le prince se retourna et indiqua à la jeune femme de s'avancer dans l'allée. 

- Seule? souflla-t-elle, les sourcils froncés. 

Seng Shan tend la main vers l'avant pour l'encourager à obéir. Misha croisa les mains devant elle et s'avança lentement vers l'empereur, la tête résolument penchée vers ses pieds. Elle s'agenouilla comme Seng Shan le lui avait appris plus tôt et attendit que l'empereur l'autorise à se lever pour le faire. Les secondes s'égrenèrent sans que le silence ne soit brisé. Seng Shan se surprit à retenir son souffle, ne quittant pas Misha des yeux. 

- Comment t'appelles-tu? 

- Kande Misha, et vous? 

Quelques rires et murmures de désapprobation s'élevèrent parmi l'assistance. Seng Shan regarda le prince pour voir sa réaction, mais celui-ci imitait le huitième prince et écrivait afin de ne pas avoir à garder les yeux rivés sur l'étrangère. 

- Je suis l'empereur du royaume de Dongyue, répondit le roi d'un sourire clément. 

Misha, réalisant sa bévue, s'inclina en guise de réponse. 

- Qu'est-ce qui t'amène parmi nous?

- Je me suis perdue, votre Altesse. 

- Perdue? Viens-tu me demander un navire ou une monture pour retourner chez toi? 

Misha hésita, secoua la tête. 

- Au contraire, votre Altesse. Je viens vous demander la permission de demeurer dans votre royaume. 

- Pendant combien de temps? 

- ... Je n'en sais rien. 

- Que veux-tu faire dans nos contrées? 

- Trouver... Retrouver la clé qui me permettra de rentrer chez moi. 

- Une clé? 

L'empereur se leva de son trône et marcha jusqu'à Misha. Toutes les personnes présentes se mirent à chuchoter, penchant leur tête dans l'allée pour mieux voir. Les trois princes se levèrent à leur tour de leur siège, délaissant leurs exercices de calligraphie pour ne rien manquer des prochaines paroles de leur père. 

- Qu'arrivera-t-il si tu retournes chez toi sans cette clé? 

- La clé fait aussi office de... de carte. Elle me montrera le bon chemin pour revenir chez moi. Voilà pourquoi je ne peux pas partir maintenant, même si je le voudrais. 

- Pourquoi es-tu si pressée de partir? demanda l'empereur sur un ton de reproche. 

- Oh!... Ce n'est pas que je n'aime pas votre royaume, mais je me sens... Je comprends que je dois éveiller des soupçons, et que la sécurité de Sa Majesté et de ses fils est...

- Toi, un danger? 

Et l'empereur rit franchement, se tenant le ventre à deux mains. 

- Est-ce pour cela que Mo Yihuai a demandé audience pour toi, parce qu'il croit que tu es dangereuse? Mo Liancheng, qu'en penses-tu? 

- Elle me semble parfaitement inoffensive, mais... 

- Tu serais donc d'accord avec ton frère? 

- Je ne connais pas l'opinion de mon frère sur cette femme, mais sa naiveté pourrait attirer les comploteurs, qui seront en mesure de facilement la berner sous prétexte qu'ils peuvent la ramener chez elle. 

L'empereur fit quelques pas, l'air songeur. 

- Ce n'est pas bête ce que tu dis là, huitième prince. 

- Faites venir le devin! 

La voix juvénile fit converger toutes les têtes vers elle. Le 16e prince se leva et reprit: 

- Peut-être que lui saura comment trouver la clé donc l'étrangère a besoin! Après tout, elle est venue de manière surnaturelle, n'est-ce pas grand frère? 

Le premier prince se rassit, reprit son pinceau avant de daigner répondre: 

- Le devin pourrait effectivement la sonder pour nous et déceler si elle est... humaine. 

- Mes fils, des hommes comme Lui Qian Shui ne se font pas appeler. Ils viennent et partent au gré du vent. Qui sait, peut-être est-ce ainsi que tu es venue en ce monde, mon enfant? 

Misha ne répondit pas, mais Seng Shan aperçut ses sourcils froncés à cette idée quand elle replaça une tresse derrière son oreille. 

- En attendant, poursuivit l'empereur, j'exige qu'elle demeure au service du premier prince afin de demeurer près du lieu où elle est arrivée. 

- Père, vous ne pouvez pas...

- Décret impérial! 

Mo Yihuai lança son pinceau sur son parchemin, laissant une tâche d'encre sur sa calligraphie, mais se tint debout pour s'incliner devant l'empereur, signe qu'il acceptait la volonté impériale. Ses frères aussi s'inclinèrent, suivis du reste de la cour. Seng Shan se pencha tout en gardant les yeux rivés sur Misha, se demandant si l'empereur lui reprocherait de demeurer droite devant lui. 

- Alors, Kan De Mi Sha, que savez-vous faire? Mon fils s'est déjà marié alors vous ne pouvez pas servir dans ce département, dit-il, pince-sans-rire. 

- Je... Je...

Elle porta une main à son front, se mordit la lèvre, puis se mit à agiter ses poings devant elle en se penchant et à se mouvoir de gauche à droite. 

- Une danseuse? Eh bien présentez-moi une chorégraphie tout de suite! Gardes! Faites venir les musiciens! 

L'étrangère se redressa puis s'enhardit à chercher le regard du garde du corps dans l'assistance d'un air pétrifié. Seng Shan n'avait pas deviné ce qu'elle tentait de dire à travers son pantomime, mais il ne pouvait douter que Misha n'avait pas demandé à danser pour le premier prince. 

Il fut néanmoins agréablement surpris de la voir sourire en entendant les premières notes du guzheng [cithare chinois]. Elle posa rapidement, commença à bouger ses mains et les manches de sa robe puis se mit à tourner et se promener dans l'allée au rythme de la musique. Seng Shan ne se souvenait pas si les autres danseuses bougeaient de manière similaire d'ordinaire mais il n'arrivait pas à quitter des yeux l'étrangère. Il se força tout de même à arracher ses yeux du spectacle pour parcourir l'assistance, analysant leur réaction. Tous, des gardes aux diplomates, en passant par l'empereur assis au bout de son trône, appréciait les mouvements de la jeune femme. 

Quand elle s'agenouilla en croisant les bras devant elle, la première personne à applaudir fut un vieil homme que le garde du corps aurait juré ne pas avoir vu dans la salle d'audience deux minutes plus tôt. Il prit l'étrangère par le bras pour l'obliger à le regarder et lui dit en riant: 

- Que fais-tu là, toi? Viens donc! 

Et sous les cris indignés de l'assistance, il disparut avec Misha. 






Avant que tu ne partesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant