The Ring

Un an, ça fait un an que je sais que Shoto me trompe. Un an que je me tais et que je supporte cette situation en espérant qu'il va le quitter. Pourquoi je continue ? Mon confort ? Mes « amis » ? Mes petites habitudes ?

Est-ce qu'il m'aime encore ? Est-ce que je l'aime encore ?

Pour la énième fois, je défais mon alliance et je la tourne entre mes doigts. J'ai failli la jeter un nombre incalculable de fois , mais je la remets à mon annulaire encore et encore, sans raison valable.

Dix ans de vie commune ce n'est pas rien, cinq ans de mariage non plus. Comment peut-il oublier ça ? Le serment qu'on a fait, c'était du vent ? A certains moments, j'oublie cet affront, il me fait oublier par des attentions tendres et des cadeaux, mais le lendemain, quand il m'annonce au téléphone qu'il doit rester au boulot pour la nuit, je me rappelle. Je me rappelle ce fameux soir. Je voulais lui faire une surprise en venant à sa rencontre au travail, un soir où il était censé travailler tard. Je l'ai vu sortir de son bureau, se diriger directement vers une voiture rouge, monter à l'intérieur et embrasser le conducteur. J'étais sous le choc, je n'ai pas pu bouger pendant une bonne heure, au point qu'un passant m'a demandé si j'allais bien. Pour être sûr de moi, je suis revenu plusieurs fois et j'ai revu le même spectacle à répétition.

Pourquoi je n'aurais pas le droit d'en profiter moi aussi ? Si la promesse de fidélité est une option pour lui, elle devrait l'être pour moi aussi. Plusieurs fois, je me suis posé la question. Plusieurs fois, j'ai commencé à me préparer. Et plusieurs fois, j'ai abandonné. Mais cette fois-ci, je suis prêt ! Me voilà devant ce bar gay, dans un quartier qui n'est pas le mien, prêt à entrer.

Peut-être pas si prêt que ça, car je suis planté devant la porte depuis une bonne dizaine de minutes. Plusieurs hommes passent à côté de moi en me regardant, ou plutôt en me jaugeant. La discrétion n'est pas leur fort ou ils n'en ont rien à faire. Je sais que je ne suis pas désagréable à regarder, je m'entretiens plusieurs fois par semaine à la salle et mon visage de trentenaire n'est pas à plaindre non plus. Mes joues juvéniles avec mes taches de rousseur qui ont été un grand complexe pour moi dans ma jeunesse sont maintenant des qualités qui font ressortir mes yeux verts. Une raison supplémentaire pour me poser cette question, pourquoi me trompe-t-il ?

Cela fait encore une minute de plus de passé devant cette porte. Allez, encore un peu de courage et je vais enfin mettre ma main sur cette poignée.

- Allez, Izuku, tu peux le faire ! Tu vas juste boire un verre et rentrer tranquillement chez toi de toute façon.

Voilà que je commence à parler tout seul. Je suis dans la merde. Mais grâce à ces quelques mots dits à moi-même, un nouvel élan de courage me permet d'ouvrir cette porte. Automatiquement, mon corps rentre dans le bar, un pas après l'autre. Je dois avoir une belle tête de paumé. Je vois une table de libre et m'y installe. J'observe autour de moi. Le bar n'est pas bondé. Il y a quelques tables de prises par des groupes d'amis et un homme assis seul au bar. Je ne m'attarde pas sur les visages ni sur les corps, je ne suis définitivement pas prêt à faire comme lui, à mettre de côté mon mariage.

J'ai besoin d'un verre, j'interpelle le serveur pour commander :

- Bonjour, je peux vous servir un verre ?

- Bonjour, oui, je veux bien, un truc bien fort qui se boit dans un shot, s'il vous plaît !

- C'est-à-dire ? Vous savez, j'ai pas mal de boissons qui correspondent à cette description, dit-il en rigolant.

Je lève les yeux vers lui pour la première fois, car son rire est communicatif. Oh... il est beau avec de magnifiques cheveux rouges qui tombent sur ses épaules. Son éblouissant sourire creuse de petites pattes d'oie au coin de ses yeux rubis qui lui donnent un charme dingue. C'est une beauté complètement différente de Shoto, qui lui paraît plus froid et stoïque. Je lui réponds quand même rapidement en continuant de l'observer.