Simon.

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L'article s'étalait sur une page de l'édition du 25.03.14 de Ouest Aven :
"Un piano à queue de marque Steinway a été retrouvé hier matin au sommet de la falaise à Plogoff dans le Finistère. Posé là sur la lande rase balayée par le vent, dans un des plus beaux sites de Bretagne, il demeure un véritable mystère pour les promeneurs."

J'avais onze ans quand ce journal est sorti. Je me rappelle l'avoir acheté avec les sous que maman m'avait donné pour que j'aille chercher le pain. Après j'ai couru jusqu'à la maison et supplié papa et maman d'aller voir Simon pour le lui montrer. Ils m'ont regardé en souriant tristement, maman c'est approchée et m'a caressé doucement les cheveux avant de dire que les visites n'étaient autorisés qu'à partir de quinze heure, et qu'il n'était que treize heure à peine.

Alors j'ai attendu.

Je m'étais assis sur le tapis de l'entrée en serrant le journal fort contre ma poitrine. J'avais hâte qu'il le lise. Je savais qu'il allait adorer parce que Simon adore les choses bizarres.

A quinze heures pile, on est parti de la maison. On avait pris la vieille voiture de papa qu'il avait eu à ses dix-huit ans. Il répétait tout le temps que cette voiture c'était la plus belle chose qu'on lui avait offert dans sa vie, maman le regardait méchamment ( mais pas vraiment c'était juste pour rire ) et il ajoutais "Après toi ma chérie, évidemment" et ils s'embrassaient.

On est arriver à l'hôpital à quinze heures trente. J'ai couru jusqu'à la chambre de Simon et je suis entré en lui criant qu'il ne devinerai jamais ce qu'il y avait d'écrit dans le journal. Il m'a regardé avec un grand sourire avant de me répondre qu'il était nul aux devinettes. Je le lui est alors tendu en souriant de toutes mes dents. Je me souviens avoir vu ses yeux s'illuminer de plus en plus au fil de sa lecture. Quand il eu fini sa lecture il a posé le journal sur son lit, à côté de lui et il m'a crié qu'on devait absolument aller voir ce piano. Puis les parents sont arrivés.

Toutes les fois où on venait voir Simon, les médecins voulaient parler avec nos parents. Ils disaient que c'était des discussions d'adultes alors ils nous laissait seuls Simon et moi. On en profitait pour sortir de l'hôpital par notre chemin secret. On devait traverser le couloir des soins intensifs puis sortir par la porte de secours au fond du couloir à gauche. "Si on se fait prendre je n'aurai plus le droit de sortir de mon lit et tu ne pourras plus venir me voir sans les parents". Simon répétait cette phrase chaque fois qu'on sortait. C'était assez dur de ne pas se faire prendre. Simon devait emporter partout avec lui une bonbonne d'oxygène accrochée à un machin a roulette. La bonbonne était reliée à son nez avec un petit tuyau. Il en avait besoin pour respirer. Le machin à roulette faisait du bruit en roulant, Simon devait le porter.

Une heure est passée comme prévu, un médecin est venu dans la chambre. Il a demandé à Simon comment il allait, puis il a dit a mes parents de le suivre pour "discuter" de l'état de Simon.

"Rien de bien grave" il disait avant de partir.
Mais je savais qu'il mentait. C'était grave. C'était toujours grave.

Comme d'habitude, on s'est levés, Simon a enfilé ses chaussure et on est sortis discrètement de sa chambre. On a traversé le couloir des soins intensifs avant de sortir par la porte du fond. Dehors on a marché jusqu'à voir le piano. On a mis du temps à arriver en bas de la falaise parce que Simon n'avançait pas vite. Il a commencé à monter. Je l'ai suivi.

A la moitié du chemin j'ai entendu qu'il avait du mal à respirer mais il a quand même continuer. Je l'admirais pour ça. A peu près cent mètres avant d'atteindre le piano, j'ai glissé sur une pierre. Je m'étais écorché salement le genou. J'ai pleuré . Beaucoup. Simon c'est retourné, il est venu vers moi et il m'a dit d'arrêter de pleurer, que tout allait bien se passer. Je ne l'ai pas écouté, j'avais trop mal pour penser à autre chose. Il m'a porté. Jusqu'en haut, au piano. J'ai senti qu'il était à bout de force. Ses jambes tremblaient, il respirait très fort et il avait le visage rouge vif. Les larmes étaient revenues inonder mon visage mais cette fois c'était parce que j'avais peur pour Simon. J'avais peur qu'il meurt. Je me suis agenouillé devant lui, je lui ai demandé s'il allait bien. Il n'a pas répondu, il était en train de suffoquer. Je me souviens avoir crié de toutes mes forces pour que quelqu'un vienne l'aider. Mes paroles étaient presque incompréhensibles à cause de mes nombreux sanglots.

Je ne peux pas vous raconter ce qui s'est passé ensuite car je ne m'en souviens plus. Comme quand vous vous réveillez le lendemain d'une fête et que vous n'arrivez plus a savoir ce qui s'est passé la veille. Sauf que moi je n'avais rien pris qui aurait pu me brouiller l'esprit.
Sam dit que c'est du au "choc émotionnel". J'imagine qu'elle a raison.

Il avait un cancer. Simon avait un cancer de la thyroïde accompagner de rumeurs au poumons. Cancer déclaré incurable.

Un mois après le trou noir du piano, Simon est mort. Ses poumons s'étaient rempli de liquide et c'était de ma faute. Tout ce qui est arrivé est de ma faute.

Deux ans après la mort de Simon ma mère m'a obligé à aller voir une psychologue. Elle voulait que je parle de mes problèmes, que je me "libère". J'y suis allé une fois par semaine. Sam me posait toujours les mêmes questions, je répondais toujours la même chose. Et un jour elle m'a posé une question, qui pour tout le monde paraît simple. Pour moi, c'était la question la plus dure. J'imagine qu'elle n'osait pas me la poser parce que j'étais encore "fragile". Mais elle a fini par le faire.

- " Comment tu vas ?"

J'ai réfléchi longtemps avant de lui répondre.

- "Je ne suis pas heureux. Je ne suis pas malheureux non plus. Je suis bloqué quelque part au milieu, ce qui est bien pire. Je suis nul part. Rien ne se passe et je deviens de plus en plus triste chaque jour."

C'est ce jour là qu'ils ont déclarés que j'étais dépressif.

Aujourd'hui ça fait huit ans que Simon est mort. Je suis assis au piano en haut de la falaise. Je ne sais pas depuis combien de temps je suis là, les yeux fermés, mais je m'en fiche. J'entends sa voix. Quand je rouvre les yeux, Simon est là, devant moi. Il n'a plus sa bonbonne d'oxygène, il va bien. Il s'assoit à côté de moi en souriant. Je le regarde, les larmes au yeux.

- "Joue moi un morceau, s'il te plaît."

Il a le même sourire que quand il a lu l'article, il y a huit ans. Pour son sourire, je commence à lui jouer un morceau. Je ferme les yeux en jouant. Je l'entends rire. Alors je joue plus fort. Encore et encore. Je m'arrête en sentant mon visage tremper de larmes, j'ouvre les yeux. Il n'est plus là. Il est parti. Mais pour la première fois depuis sa mort, je suis heureux. Je suis heureux car avant de partir je l'ai entendu murmurer dans mon oreille.

- "Merci petit frère."

1249 mots

Simon.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant