J'avais la crainte de m'éloigner de la cabane par peur viscérale de ne pas retrouver mon chemin, mais j'éprouvais aussi une irrésistible envie de découvrir à quoi ressemblaient les alentours. En plus, il devenait primordial que je m'occupe pour éviter d'écouter la douleur que je ressentais tout au fond de moi. J'avais donc décidé de partir à la recherche de la rivière que mon ouïe entendait au loin et qui devait se trouver d'après mes estimations à plusieurs kilomètres de là. L'idée de plonger mes mains dans cette eau et m'en asperger le visage avec me faisait trembler d'envie.
Une chose était certaine, si quelqu'un devait se terrer dans un endroit tel que celui-ci, comme je devais le faire à l'heure actuelle, mieux valait être un dissocié ! Tous les besoins de la vie quotidienne en étaient simplifiés et mes sens m'avertiraient du moindre danger. J'aurais la possibilité de rester ainsi pendant des années ! Finirais-je par perdre la raison, seule, paumée au fin fond de cette forêt avec pour unique compagnie les oiseaux et les autres bruits de la forêt ? À cette pensée, je me levai d'un bond. Il me fallait à tout prix un point de repère afin de savoir combien de jours allaient s'écouler. Étant donné que je ne dormais pas, je n'avais plus une très bonne notion du temps qui passait et risquais de vite ne plus savoir où j'en étais. Après réflexion, je décidai de séjourner ici un maximum de trois semaines. Cela me paraissait un délai raisonnable pour laisser les choses se tasser au niveau du Conseil. Je ne savais pas si le temps pouvait réellement changer quelque chose sur leurs intentions, je ne savais pas non plus si le mensonge du dissocié avait fonctionné. Peu importe, trois semaines me semblaient déjà bien trop long ! D'ici là j'aurais, je l'espère, découvert une solution pour rejoindre Noah, car jusqu'à présent je me retrouvais incapable de penser de manière cohérente. J'aurai tout donné pour pouvoir quitter cet endroit à ce moment précis, mais je ne pouvais pas prendre un tel risque. Noah aurait sans aucun doute encouragé cette attitude prudente de demeurer à l'abri. Réconfortée par cette idée, je fis quelques pas en direction du chemin caillouteux où se trouvait garée la voiture et remuai le sol avec le bout de ma chaussure, le scrutant à la recherche d'un caillou suffisamment tranchant à mon goût. Après l'avoir ramassé, je me dirigeai à nouveau vers la cabane. Tenant fermement le caillou, je le frottai suffisamment fort contre la porte en bois à deux reprises. Ces traces seraient désormais mes points de repère et marqueraient mes jours de présence ici. Satisfaite, je posai précautionneusement ma craie improvisée sur le rebord de la fenêtre histoire de ne pas la perdre et allai me rasseoir à l'intérieur.
En ce début d'après-midi de mon troisième jour, le temps était clément et le ciel bien découvert. Le printemps avait déjà nettement repris le dessus sur le froid malgré l'altitude. Je me disais que si les circonstances n'avaient pas été celles-ci, il n'y avait aucun doute que cela m'aurait plu d'être ici, en pleine nature, dans cet endroit sauvage, mais magnifique. Bien entendu, je n'aurais pas été seule, Noah aurait été là lui aussi...
Je ne pouvais cesser de penser à lui. Je me remémorais sans cesse nos moments ensemble, de l'insistance dont il avait fait preuve pour me soutenir dans mon projet. Il devait être extrêmement inquiet pour moi, autant que je pouvais l'être pour lui. J'espérais au plus profond de moi qu'il soit capable de ressentir grâce à son sixième sens le fait que j'étais encore en vie et que je n'attendais que le moment de le retrouver. J'avais le secret espoir qu'il se soit mis à ma recherche et rêvais de le voir déboucher sur le chemin en contrebas à tout moment, même si je savais que ce n'était pas possible puisque je ne ressentais aucunement sa présence... Depuis que je l'avais laissé là-bas, devant l'appartement de mon père, un vide immense s'était emparé de moi et la culpabilité ne cessait de me ronger, jour après jour de plus en plus. Jamais je n'aurais dû l'écouter et le laisser, plus jamais cela ne se reproduirait, je m'en étais fait la promesse. Je me détestais d'avoir pris la décision de partir même si je n'avais bien entendu pas pu mesurer les conséquences de mon acte. Pour moi, à ce moment-là, il avait été plus qu'évident que Noah m'aurait rejointe. Je ne pouvais pas m'arrêter de penser à ce que j'allais bien pouvoir faire en quittant cet endroit sans pour autant trouver de solutions acceptables.
Cela m'avait pris du temps, mais je me décidai enfin à m'éloigner de mon antre pour m'enfoncer dans la forêt à la découverte de cette rivière. Je me mis donc en route ce jour-là et essayai de marcher d'un bon pas malgré les ronces, les branches d'arbres casées qui jonchaient le sol ainsi que les racines qui sortaient de terre et ralentissaient mon avancée. Je pris un soin particulier à regarder autour de moi afin d'imprimer les détails de la forêt. Des détails qui m'aideraient sans nul doute à retrouver le chemin du retour sans trop de difficultés. J'observai dans ce but avec attention cet arbre déraciné par le vent qui pourrissait de tout son long au beau milieu de ses congénères, rongé par des milliers d'insectes ou ce gigantesque nid de fourmis près duquel je restai de longues minutes, fascinée par le va-et-vient incessant de cette colonie dont chaque individu connaissait instinctivement la tâche qu'il avait à accomplir.
J'étais éblouie par tout ce que je voyais, pas du tout habituée à être dans ce genre de contexte. La quiétude de cet endroit m'apaisait, si effrayante et belle à la fois. Le temps était plutôt doux, mais une certaine humidité régnait dès que l'on s'enfonçait dans les bois. Je sentais d'ailleurs sous mes pas que le sol était humide. Le soleil avait bien du mal à passer au travers des arbres et c'était tant mieux, car mes yeux préféraient nettement la pénombre.
Je n'avais pas de montre et ainsi aucun moyen d'en être assurée, mais j'estimai avoir marché au moins deux heures quand enfin je vis apparaître le cours d'eau. C'était une estimation purement subjective, car ne ressentant aucune fatigue, je ne pouvais pas en être sûre. Peu importait de toute manière le temps qu'il m'avait fallu, car du temps j'en avais en abondance...
Le lit du torrent était large, plus de quinze mètres, mais il était en grande partie asséché, seuls quelques filets d'eau trouvaient encore leurs chemins entre les cailloux et les rochers. Il fut donc facile pour moi de m'aventurer où l'eau était toujours présente. Je me gardai tout de même de m'avancer dans un endroit trop exposé et choisit un lieu bien ombragé, en bordure de forêt pour ne pas me sentir trop à découvert. La crainte de croiser quelqu'un était continuellement présente dans ma tête. Si une telle chose se produisait, j'aurais bien du mal à justifier ma présence ici, seule et sans le moindre équipement. Je n'avais pas changé de vêtement depuis mon départ de Paris et je doutai sérieusement que mon pantalon de toile beige et ma blouse, tous deux troués et dans un état de propreté plus que douteux, puissent faire illusion. Sans parler de la tête que je devais sans aucun doute avoir, mes longs cheveux bruns tombaient en bataille sur mes épaules et n'avaient pas été coiffés depuis des jours... Je devais donc rester prudente. Le bruit de l'eau couvrait quelque peu celui des alentours et j'avais peur de ne pas entendre si quelqu'un finissait par approcher.
Après un dernier regard appuyé autour de moi, je n'attendis plus avant de m'avancer vers l'eau. Je m'agenouillai afin de pouvoir y plonger les deux mains et m'aspergeai le visage avec enthousiasme. Mon dieu comme cette sensation était agréable ! Maintenant que j'étais ici, je regrettai de ne pas avoir pris les vieilles bouteilles qui traînaient à la cabane, sur le coup je n'y avais pas pensé, j'aurais pu ramener de l'eau ! Tant pis, cela ne serait sans doute pas la dernière fois que je viendrai jusqu'ici. Je voulais profiter à tout prix de me laver ou au moins me rafraîchir, car je n'avais pas non plus pensé à prendre les affaires de toilettes rangées dans mon sac de voyage.
J'avais trouvé un endroit où de gros rochers étaient disposés de part et d'autre et où l'eau se retrouvait prisonnière formant une sorte de petite cuvette. Je me concentrai à nouveau sur les alentours et constatant une nouvelle fois qu'il n'y avait aucun signe de vie, j'entrepris de me déshabiller. Je posai mes vêtements avec soin sur un des gros rochers en bordure du ruisseau et m'avançai pieds nus dans l'eau. Le lit de la rivière, composé de sable et de petits cailloux polis par le courant, était doux sous mes pieds. Je sentis l'eau ruisseler entre mes mollets sans en ressentir le froid, mais à n'en pas douter elle devait être glaciale ! Cela me fit sourire. Je m'assis dans l'eau m'aspergeant à présent tout le corps puis lançai ma tête vers l'arrière afin de tremper également mes cheveux. Cela me fit un bien fou et je restai ainsi de longues minutes, puis je sortis et allai m'allonger sur un rocher relativement plat, laissant mon corps se sécher tranquillement, admirant par la même occasion les environs. Je me sentais fier d'être venue jusqu'ici même s'il n'y avait aucun endroit au monde où je me retrouve autant coupé de la civilisation!
Je retrouvai sans peine le chemin du retour; je pris mon temps, admirant la forêt tout en repérant facilement mes points de repère. Je n'avais aucune raison de me presser après tout.
VOUS LISEZ
Tout a changé ce jour là!
RomanceEmma a encore de la peine à croire au changement radical de sa vie, à son "changement". Elle a dû tout laisser derrière elle sans pouvoir le décider. Oui, mais à présent elle l'a, lui! Malgré tout elle va avoir besoin de dire au revoir à son passé p...