Au Commencement...

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J'adore la chasse. J'aime ça depuis tout gamin. Je me rappelle de mes premières parties avec mon père dans la forêt au bout du jardin, derrière la vieille barrière de rondins boueux. Vous savez, les forêts sauvages et montagneuses de l'Oregon. De hauts arbres au pied des cimes enneigées. C'est juste... magnifique. Beaucoup de gens ont des préjugés sur ce "passe-temps", que c'est cruel, violent, et qu'apprendre ça à des gamins qui savent à peine lire risque de les rendre fous. Mais c'est pas le cas, ou du moins pas le mien. Déjà parce que mon père a attendu que je me sente prêt et qu'il estimait que c'était le cas avant de mettre pour la première fois une arme entre mes mains. Ensuite j'ai toujours essayé de tuer l'animal le plus rapidement et le plus proprement possible, par respect pour lui et pour la chair qu'il me procure. Enfin je trouve ça pitoyable de chasser pour le plaisir, mais il faut bien aller chercher sa nourriture, que ce soit au super-marché ou à la source. Enfin bref, j'aime la chasse. J'aime la nature. Et aujourd'hui je suis parti de ma petite maison banale de patelin paumé, seul avec mon fusil à lunette, à pied, à l'heure où l'horizon semble brûler et où pourtant les étoiles brillent encore au-dessus de nos têtes. Je me suis posté en hauteur, avant que les petits habitants ne commencent à sortir de leurs terriers et à vagabonder tout autour de moi. J'ai patienté ainsi quelques heures, assistant à leur éveil. J'en vit passer quelques-uns, mais je gardais mes quelques cartouches pour le seul gibier qui les méritait vraiment. Le temps passait lentement, mais l'expérience fait gagner cette patience qui nous aide à faire passer sans problème ces heures dont l'écoulement serait normalement insupportable. La musique aussi, ça aide. C'était Heart-Shaped Box de Nirvana -quand on parle de fusil de chasse-, que j'avais entre les oreilles quand il est apparu, cet animal si unique. C'est le genre de créature que vous ne rencontrez pas souvent dans une vie. Je ne compte pas le manger, cette-fois, je le confesse. On ne mange pas un spécimen tel que Jimmy Cromwell, je n'ai aucun respect pour ce genre de bêtes. Je savais qu'il passerait par cette rue passante de Milwaukie, la seule question était quand. Et je devais prendre mon temps afin de me fondre dans ce décors, on remarque facilement un homme avec un fusil de chasse à la main en pleine ville, même aux États-Unis. J'ai pas besoin de vous faire un dessin, Milwaukie c'est le genre de petite ville avec des bâtiments de deux-trois étages chacun, assez colorés pour la plupart. Pas aussi chaleureux qu'un village -ou hostile, selon les gens qui l'occupent- mais pas aussi impersonnel qu'une grosse agglomération. Le ciel était bleu-gris, sans trop de nuages. Mais revenons-en à ce petit branleur de Jimmy Cromwell. C'est le genre de caïd sans intérêt particulier, excepté qu'il trempe dans toutes les activités criminelles faisables, que ce soit proxénétisme, deal de stupéfiants ou même accessoirement des meurtres. Black, la trentaine, look mal dans sa peau, mains dans ses poches, casquette sur la tête -à l'endroit, la casquette-, l'air un peu stressé, méfiant et pour ce que j'en sais assez instable. Oh et y'a deux de ses potes juste derrière lui, dans le même style.

J'ai sa tête dans le viseur. Je ralentis ma respiration. J'ai les mains collantes sur la gâchette. Le temps s'arrête. J'enlève la sécurité. Je prends une grande inspiration.

BLAM.

Il tombe.

Sauf que j'ai pas tiré.

C'est là que je vois trois putains de bikers qui dévalent la rue à toute vitesse. Ils abattent les deux potes de Jimmy et disparaissent à l'angle. Rapide, efficace. Sauf que ces mecs voulaient être remarqués, sinon ils auraient pas porté leurs couleurs de gang de manière aussi visible. De toute façon ils savent qu'ils ne craignent pas grand chose. Ils sont organisés et les risques de remonter jusqu'à eux sont faibles. Je connais les pratiques. Balles intrassables, attaque éclaire, pas de plaque d'immatriculation, visages masqués évidemment... Même si les flics tombaient sur de l'ADN il y a peu de chances pour qu'ils les retrouvent. Tellement peu qu'ils peuvent afficher à la vue de tous leur appartenance aux Iron Angels. Un gang qui baignait dans les mêmes saloperies que Jimmy jusqu'à sa mort. Rien de bien original à vrai dire. Faut que je dégage vite fait de là.

Mais bon je suppose que vous voulez plutôt en savoir plus à propos de ce que je m'apprêtais à faire. Ce n'est pas un secret. Enfin... si, autour de moi ça l'est, mais ici non. Mon père s'est fait descendre par la mafia quand j'étais petiot et depuis j'ai prit les armes pour me venger et faire régner la justice que les forces de l'ordre sont incapables à mettre en œuvre. Nan je déconne, mon père est décédé d'un cancer il y a une dizaine d'années, tandis que ma mère vit tranquillement au Canada. J'aime juste tuer. Des êtres humains j'entends. Rien de personnel, et je suis pas malade dans ma tête non plus. Pas une espèce de Dexter qui doit contraindre sa libido d'hémoglobine en se focalisant sur des criminels. C'est juste que je m'ennuie. Le fric, les grandes villas et les grosses bagnoles, ça m'intéresse pas. Les femmes -ou les hommes- non plus, j'en ai jamais croisé une qui m'ai assez plu pour vouloir aller plus loin que sa chambre. Alors je tue des gens, pour passer le temps. Parce que j'ai rien de mieux à faire, je suppose. Se donner une cible, apprendre à la connaitre, puis l'abattre. J'essaie de me focaliser sur des gens qui pourraient relativement le mériter. Mais ça m'arrive de tuer des gens qui ne sont pas des criminels, juste parce qu'ils me dégoûtent. Ce monde est bien assez à chier comme ça, deux-trois personnes en moins feront pas de mal. Pis l'Homme est un animal, non ? Faut bien réguler...

Iron Cold Dark CountryOù les histoires vivent. Découvrez maintenant