Prologue

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Le jour de mes seize ans est le jour où je suis morte.

Mes amis étaient venus me chercher pour fêter mon anniversaire. Après une longue discussion avec mes parents, j'avais finalement obtenu l'autorisation d'aller dans une des boites les plus branchées de Sydney. Mon meilleur ami, Mike, s'était porté volontaire pour être le SAM de la soirée. Nous nous sommes amusés toute la nuit. On a bu, chanté, dansé... Oui, c'était une super soirée, on ne pouvait pas rêver mieux à seize ans !

Comme tous les jeunes de notre âge, nous étions naïfs et insouciants. Nous avions toujours cru que cela ne nous arriverait jamais. Que nous n'étions pas les autres. On se trompait. À la fin de la soirée Mike a pris le volant et nous sommes tous montés dans la voiture. Nous avions confiance en lui. Sa petite de sœur s'était installée devant à ses côtés. J'étais assise à l'arrière entre Sophia et Erica et je n'avais pas mis ma ceinture. Cette erreur, stupide, me coûta la vie.

Quand on est rentré, il pleuvait beaucoup. L'eau avait recouvert une partie de la route. Un camion arrivait en face de nous et Mike a perdu le contrôle de la voiture l'espace de quelques secondes. L'aquaplaning est bien plus dangereux que ce que l'on veut bien croire. Ces quelques secondes, où Mike n'avait plus le contrôle de sa voiture, ont a jamais changé nos vies à tous. Tout s'est alors passé si vite. J'avais vu les phares du camion, puis entendu le bruit ahurissant du métal qui se pliait par la force avec laquelle on avait percuté le poids lourd. Ma vision s'était troublée, comme si j'étais dans un manège qui tournait sur lui-même à une vitesse bien trop élevée, puis l'air frais m'avait fouetté le visage. Mon corps était atterri lourdement. Chaque parcelle de ma peau m'avait fait souffrir le martyre. Ma tête avait heurté le bitume. Une douleur lancinante s'ensuivit, qui ne dura que quelques secondes, puis plus rien. Tout allait bien. Je ne souffrais plus.

Ne ressentant plus la douleur, je m'étais relevée et précipitée vers mes amis. Ils étaient grièvement blessés. Aucun d'entre eux n'était éveillé. J'ai vu un homme descendre du camion et se précipiter vers notre voiture. Je m'étais alors précipitée à mon tour vers lui. Le suppliant d'appeler les secours. Il ne m'avait pas répondu, sur son oreille était collé un téléphone et il parlait vite. Il avait déjà joint les secours. Le chauffeur était alors passé à côté de moi, sans m'accorder un regard. Triste et pleine de colère, je m'étais alors mise à lui hurler dessus. Je savais que ce n'était pas de sa faute, ni de la nôtre. C'était un accident. Une fois que j'avais défoulé toute ma colère, épuisée, j'avais fixé cet homme, mais il ne m'avait pas répondu. Il s'était simplement tourné vers moi, le visage décomposé. La culpabilité m'avait alors prise au ventre. Lui aussi avait dû avoir peur. Je m'étais alors excusée de mon comportement, mais il ne m'avait toujours rien dit. C'est quand il s'était avancé vers moi à pas lents, jusqu'à me traverser et que je me suis retournée dans la direction où il se rendait, que j'ai compris. Mon propre corps était allongé sur le sol, inerte. Je m'étais giflée, pincée plusieurs fois dans l'espoir fou de me réveiller dans la voiture aux côtés de Sophia et d'Erica, mais jamais mon vœu ne fut réalisé.

Quand les secours sont arrivés, ils ont tout de suite pris en charge les blessés. Quant à mon corps, il fut placé dans une house mortuaire et emmené dans une camionnette sombre. Ce soir-là, je n'ai pas suivi mon corps. Je suis montée dans une des ambulances et j'ai suivi mes amis. A l'hôpital, les médecins ont annoncé aux parents que leurs pronostics vitaux n'étaient pas engagés. Mike et sa petite sœur avaient été mis dans une chambre commune. Sophia et Erica avaient été placées dans la chambre en face. Ils souffraient énormément et les médecins avaient dû leur injecter de la morphine. Comme moi, ils ne ressentaient donc plus la douleur. Mais ils vivaient. Je les enviais, car malgré les souffrances, la vie m'avait quitté, mais pas eux.

Ce soir-là, dans le couloir de l'hôpital des éclats de voix avaient éclatés. Les sanglots de ma mère, de mon frère. Et la voix brisée de mon père. Je n'avais pu rester et écouter. Je m'étais alors réfugiée dans une chambre pour ne plus rien entendre, voulant me protéger.

Était-ce le destin qui avait décidé que je devais mourir cette nuit-là ? Peut-être ? Est-ce que le fait d'avoir mis ma ceinture de sécurité aurait changé quelque chose ? Est-ce que je serai encore en vie ? Où le résultat serait-il le même ?

Quelques jours plus tard au funérarium, j'ai pu constater qu'un nombre incroyable de personne était venue me voir. Ma famille proche ou lointaine, mes amis, des connaissances que j'appréciais peu, des inconnus, mais aussi des personnes que je n'aimais pas du tout, comme la femme du voisin. Cette femme qui avait fait tout ce qu'elle pouvait pour que mes parents, mon frère et moi déménagions. Et alors qu'elle s'était penchée au-dessus de mon corps fraîchement maquillé par le conseiller funéraire, le vase contenant des roses blanches avait explosé en mille morceaux, la blessant au visage. Le sang de cette femme avait violé la pureté des pétales de ces roses. Des roses que m'avaient apporté ma grand-mère quelques instants plus tôt.

Deux jours après, j'avais assisté à mon propre enterrement. C'est assez étrange comme sentiment... Mon cœur s'était serré très fort lorsque j'avais vu ma famille s'approcher de mon corps pour me donner un dernier hommage. Et encore plus lorsque j'ai vu Erica. À ce jour, elle avait été la seule à s'être réveillée de l'hôpital. La connaissant, elle avait dû faire un scandale juste pour venir me voir, une dernière fois. Et malgré la situation, un sourire amusé s'était étiré sur mes lèvres rien qu'à imaginer la façon dont elle avait pu s'y prendre. Je m'étais alors approchée vers elle et lui avait murmuré de prendre soin de toute ma famille, de Sophia, de la petite sœur de Mike et de Mike...

Ce qui m'avais fait le plus mal lors de l'enterrement. Ce fut de ne pas pouvoir embrasser ma famille une dernière fois. De les serrer si fort contre moi que j'en aurai eu le souffle coupé : mais cela m'étais alors impossible, je n'appartenais plus au même monde.

Ce fut la dernière fois que j'ai pu voir toute ma famille. Quelques jours après mes obsèques, j'ai finalement pu trouver la paix intérieure et j'étais alors partie, grâce à mon frère. Il était venu me rendre visite sur ma tombe et bien que j'avais fait le singe autour de lui dans l'espoir qu'il me voit et qu'il me parle à moi et non au rocher en granit qui servait de lieu de recueil, il était parvenu à me toucher là où j'en avais plus le besoin. Mes amis étaient saufs. Ils étaient encore à l'hôpital, mais ils étaient assurément sauvés. C'est cette nouvelle qui m'avait permis de partir : de monter au Paradis.

Hélas, ce n'est pas au Paradis que je suis arrivée. J'ai traversé une étrange brume qui m'avait entouré dans une forêt tropicale. À l'horizon, il n'y avait rien, sauf un village de pêcheur où deux personnes âgées m'attendaient à la sortie de la forêt. J'étais entièrement nue et la vieille dame en face de moi s'était alors approchée avec une robe en tissu. Elle s'appelait Myriam. Elle et son mari Jean m'attendaient et ils m'ont recueilli.

J'ai appris à pêcher et à manier le bâton, pour me défendre d'après Jean. Myriam m'a confectionné de nouveaux vêtements et m'a redonné goût à la vie. Une vie enviable, tranquille. Une vie où les nouvelles technologies n'existent pas. Pas de voiture, pas de camion, pas de téléphone portable, pas d'internet, pas d'ordinateur, rien de tout cela.

J'ai découvert qu'après notre mort, un autre monde nous attend. Un monde très peu exploré dont je ne sais pas grand-chose, hormis une seule : ceux qui y vivent ne se souviennent de rien ni de personne de leur vie antérieure.

Alors, pourquoi moi, je me souviens de tout ?

Le Joyau Des BrumesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant