Assit dans le joli salon bleu des Delcourt, le dernier numéro de La Sentinelle à la main, Mathias ne parvenait pas à contenir son hilarité. Devant lui, Daisy le regardait, entre amusement et perplexité.
Ils venaient de rentrer de l'une de leur balade au cœur de Paris que les deux amis affectionnaient tant. La Sentinelle avait beau se moquer d'eux en les qualifiant de « vieux amis », ces mots leurs semblaient étonnamment justes. Car, en marchant ensemble dans les rues de la capitale à admirer ses merveilles, les deux jeunes gens avaient cette sensation d'être de bons vieux amis, comme deux âmes qui, éloignées par le destin, avaient fini par se retrouver dans cette vie. Ils avaient l'impression de se connaître depuis toujours, se comprenaient même au-delà des mots et appréciaient à sa juste valeur ce lien qui les unissait.
Ensemble, ils s'amusaient énormément à écumer les plus beaux endroits de la ville, Mathias montrant tout ce que Paris avait de plus merveilleux à offrir. Ainsi ils avaient déjà admiré l'Arc de Triomphe, s'étaient promené dans le jardin des Tuileries, avaient admiré la façade de l'Opéra Garnier, visité l'avenue des Champs-Élysées, et, le matin même, avait découvert les splendeurs de la cathédrale de Notre-Dame.
Mais ce qui leur plaisait le plus dans ces balades, c'était un jeu que Mathias avait inventé pour Daisy. Il consistait à regarder les gens de la haute société et de leur prêter des intentions et des mots par la simple vue de leur expression, posture ou accoutrement. Ainsi, cette dame au visage sec et au dos bien droit dans sa robe sapin ne pouvait être qu'une affreuse institutrice qui usait de sa canne au pommeau sculpté pour punir d'affreux garnements remuants. Et ce monsieur tout en rondeur aux joues rougies à trottiner ainsi, sa moustache affriolante rebondissant sous son nez presque autant que son embonpoint, sans doute était-il un gourmand lutin parti en quête de l'objet du désir de sa maîtresse.
Dans le hall, Mathias qui venait tout juste de raccompagner Daisy discutait gaiment avec elle de leur prochaine escapade quand Hélène leur tomba dessus. Daisy ne se souvenait pas avoir jamais vu la vicomtesse marcher aussi vite, même pour faire les boutiques. Et elle ne devait pas être la seule car, Raphaël qui passait par là, jeta un regard étonné à sa mère qui voulait tout dire. Mais cette dernière le chassa d'un geste de la main avant de se tourner vers les deux jeunes gens, un sourire affable aux lèvres. Daisy et Mathias la trouvèrent étrange, mais ne surent que plus tard ce qui la taraudait, quand elle insista fortement pour que Mathias reste prendre le thé.
Étonné, le jeune homme avait accepté avant de réaliser que la vicomtesse avait en fait des comptes à régler avec lui. En effet, Hélène n'était pas ravie qu'il court les rues avec Daisy et encore moins que les journaux en face leurs choux gras. Lui s'en amusait beaucoup, car comme Daisy, il savait que tous ces racontars qui abreuvaient La Sentinelle de pareilles sornettes n'avaient rien comprit.
– Je ne vois pas ce qu'il y a de drôle, monsieur, tonna la vicomtesse les dents serrées.
– Oh, moi je le vois, chère madame, répondit-il avec un sourire canaille en rejetant le journal sur la table.
Daisy tendit imperceptiblement le cou pour en lire quelques mots quand Hélène l'arracha à son regard pour le rouler en boule et le jeter rageusement dans la cheminée. La jeune femme se demanda pourquoi sa bienfaitrice continuait d'acheter ce torchon si c'était toujours pour l'envoyer aux flammes.
– Ce qu'il y a d'amusant, poursuivit Mathias sans se laisser démonter par le regard assassin que lui jetait la vicomtesse, c'est que vous portiez la moindre importance à ce ramassis de fadaises.
– Je ne crois pas, monsieur, que ce ne soit qu'un ramassis de fadaises comme vous dites puisque vous venez de m'avouer avoir baladé notre Daisy dans tout Paris sans chaperon et plus d'une fois !
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Eugénie (en pause)
ParanormalElle n'a plus de nom ni de passé Ses souvenirs envolés Mais le danger court toujours Prenez garde au triste amour. Trouvée aux abords de la Seine, frigorifiée, une jeune femme est recueillie par le vicomte Vincent Delcourt. Sans nom ni passé, le je...