Daisy se trouvait de nouveau dans le long couloir. Tout était sombre et l'orage grondait derrière les grandes fenêtres à sa gauche tandis qu'à sa droite, les tableaux étaient tout aussi vides que dans son souvenir. La pluie martelait les carreaux mais Daisy l'entendait comme à travers le brouillard. Elle était en chemise de nuit, encore, et ses pieds nus parcouraient ce même long tapis si doux.
Une différence toutefois était à noter, car cette fois aucun éclair ne vint illuminer la scène par à-coups. À la place, Daisy tenait à la main une vieille lampe à huile dont le halo doré lui paraissait étonnement réconfortant malgré l'ambiance austère du long corridor.
Elle avançait, la gorge nouée d'appréhension. Elle savait ce qui l'attendait derrière la porte qui se profilait. Pourtant ses idées lui semblaient bouillées, comme si son esprit l'empêchait de se souvenir exactement de ce qui l'attendait de l'autre côté pour mieux le lui montrer. Et plus elle s'approchait, plus son angoisse grandissait mais il lui était impossible de s'arrêter.
Ses pieds continuaient d'avancer malgré les frissons qui lui parcouraient l'échine, malgré les tremblements qui secouaient tout son corps alors qu'un froid mordant l'envahissait, malgré ses mâchoires si serrées pour les empêcher de claquer. Elle aurait voulu se pincer, hurler à ses jambes de faire demi-tour, mais son corps ne lui obéissait plus et chaque pas lui semblait un peu plus atroce.
Pourtant, alors qu'elle parvenait à la porte, alors qu'elle s'apprêtait à en franchir le seuil pour se plonger dans la scène d'horreur qui l'attendait et dont les contours envahissaient déjà ses pensées troublées, tout changea.
Daisy n'était plus dans la grande maison. Les murs aux grandes fenêtres et aux tableaux vides avaient disparu, le long tapis aussi, le sol lui-même s'était volatilisé. Il n'y avait plus rien autour d'elle, plus que le néant. Daisy flottait, aveugle et sourde, dans un environnement complètement gris. Elle ne sentait rien, elle n'était rien. Son corps lui semblait à la fois engourdi et vaporeux, pas vraiment présent et en même temps là. Tout se confondait dans son esprit. Le haut et le bas, la droite et la gauche, devant et derrière. Plus rien ne faisait sens. C'était une sensation étrange, presque agréable.
Puis la sensation changea. Daisy eut l'impression d'étouffer, de se noyer. Le néant n'était plus que courants traitres et eau glaciale. Elle voulut ouvrir les yeux, battre des bras pour se sortir de là, mais très vite la terreur la gagna quand elle réalisa qu'elle ne se pouvait pas bouger. Ses paupières étaient aussi lourdes que du plomb, impossibles à relever, alors que tous ses membres lui paraissaient comme empêtrés de chaînes et de poids qui l'emportaient toujours plus profondément sous la surface. Elle sentait le froid s'insinuer dans tout son corps, lui mordant la peau jusqu'aux os à lui faire mal. Ses poumons la brûlaient. Elle avait peur, rêvait de se réveiller.
Et soudain, au milieu de ce cauchemar, un éclat de lumière perça la grisaille. Puis une voix s'éleva, d'abord lointaine puis de plus en plus forte, de plus en plus nette. Elle l'appelait, lui semblait familière. Mais Daisy n'en comprenait pas les mots. La voix qui lui parvenait sonnait comme un souvenir lointain à ses oreilles, lui donnant la force d'ouvrir les yeux. Quand ses paupières se relevèrent enfin, elle en eut le souffle coupé.
Daisy ne se trouvait plus dans la Seine mais allongée dans l'herbe. Au-dessus d'elle, un vaste ciel d'un bleu apaisant s'étendait à perte de vue. Elle regarda partout autour d'elle, à la fois intriguée et complètement perdue. L'endroit lui semblait familier, en particulier cette forêt juste derrière elle dont la frondaison des arbres bruissait lentement sous la brise. Un endroit merveilleux qui apaisa tout de suite ses craintes et lui donna même le courage de se lever. Elle découvrit alors ses pieds nus dans la terre et cette jolie robe d'été aux délicats motifs de fleur. Le tissu était doux bien qu'un peu usé et lui laissa un sentiment de confort qu'elle n'avait encore jamais ressentit, même dans les jolis vêtements que lui avaient offert Hélène et Louise.
– Tu te réveilles enfin, dit une voix derrière elle.
Daisy se retourna d'un bond et découvrit la silhouette d'une petite fille assise au pied d'un vieil arbre au large tronc. Son feuillage dense projetait des ombres sur son visage, assombrissant des traits que Daisy ne parvenait déjà pas à discerner. Tout lui semblait trop flou autour d'elle et pourtant... si familier. À commencer par cette fillette dont la voix résonnait en elle comme un écho. Elle était certaine de l'avoir déjà entendu quelque part mais ne parvenait pas à se souvenir.
– Qui... commença-t-elle d'une voix étrangement rauque, mais la fillette se releva et reprit d'une voix plus sérieuse.
– Tu dois te souvenir. Pour nous.
L'image se troubla. Daisy aurait voulu faire un pas en avant, dire quelque chose mais déjà la fillette lui tournait le dos pour s'enfoncer dans le bois.
– Ne nous oublie pas, furent les derniers mots qu'elle prononça avant de disparaître entre les arbres.
Sa voix résonna si longtemps dans l'esprit de Daisy qu'elle s'entendit à peine lui hurler d'attendre, de revenir. Et alors qu'elle luttait pour mettre un pied devant l'autre, prête à la poursuivre dans l'immense bois qui lui faisait face, tout s'obscurcit. Elle se sentit chuter durant une éternité avant de se réveiller.
Daisy se redressa d'un bond dans son lit, regardant partout autour d'elle à la recherche de la fillette. Sa voix résonnait encore clairement dans sa mémoire et les larmes lui montèrent. Une tristesse indicible l'envahit alors, lui serrant le cœur jusqu'à lui faire monter les larmes aux yeux sans qu'elle ne comprenne pourquoi. Et alors que les images refluaient, devenant de plus en plus floue dans sa mémoire, Daisy fondit en larmes, le sentiment d'avoir perdu quelque chose d'important l'envahissant si fort qu'elle ne put retenir les sanglots qui s'emparèrent brusquement d'elle.
Dans le couloir, Louise, qui était en route pour rejoindre sa chambre, s'arrêta net devant celle de Daisy. Il était tard, tout le monde dormait, mais la jeune artiste ayant trop tardé dans son atelier ne parvenait pas à trouver le sommeil et avait finit par aller se servir une collation dans les cuisines. En tendant l'oreille, elle perçut distinctement des sanglots et s'approcha doucement de la porte, intriguée.
– Daisy ? appela-t-elle doucement à la porte.
La chambre était plongée dans l'ombre. Mais, en levant sa bougie bien haut, Louise découvrit Daisy prostrée dans son lit, les joues baignées de larmes. Lorsque cette dernière releva les yeux pour la découvrir sur le pas de sa porte, elle sembla se pétrifier avant que les larmes n'abondent à nouveau. Devant ce triste spectacle, Louise ne perdit pas un instant et se précipita vers son amie pour la prendre dans ses bras, déposant rapidement sa chandelle sur la table de chevet où elle manqua de se renverser.
– Daisy, que se passe-t-il ? s'alarma Louise en repoussant les mèches vagabondes qui lui couvraient le visage. Pourquoi tu pleures ?
Incapable de lui répondre, Daisy serra plus fort Louise dans ses bras. La jeune fille était perdue, mais comprenant que son amie avait besoin de quelque chose à quoi s'accrocher, de réconfort, elle passa une main apaisante dans ses cheveux et la serra tendrement contre elle.
– Tout va bien Daisy, je suis là, murmurait-elle en la cajolant. Tu n'es plus seule, tu es en sécurité.
Et après quelques longues minutes, Daisy se calma enfin et remercia Louise qui insista pour la border jusqu'à ce qu'elle se rendorme. Épuisée, Daisy accepta et lui sourit avec reconnaissance.
– Merci, murmura-t-elle juste avant de s'endormir.
Louise lui sourit à son tour avant de déposer un baiser sur son front.
– Bonne nuit Daisy, murmura-t-elle avant de s'éloigner.
Sur le pas de la porte, elle jeta un dernier regard à son amie. L'inquiétude et l'incompréhension lui serraient toujours le cœur mais elle était soulagée que Daisy soit parvenue à se rendormir. Elle espérait simplement que le reste de sa nuit soit plus calme et qu'au matin le lendemain, toutes ces larmes ne soient qu'un vieux souvenir.
La mine assombrit, Louise retrouva sa chambre avec pour seule et triste pensée qu'elle aurait aimé pouvoir chasser ce chagrin qui refusait de quitter son amie.
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Eugénie (en pause)
ParanormalElle n'a plus de nom ni de passé Ses souvenirs envolés Mais le danger court toujours Prenez garde au triste amour. Trouvée aux abords de la Seine, frigorifiée, une jeune femme est recueillie par le vicomte Vincent Delcourt. Sans nom ni passé, le je...