L'ESPION D'UN AUTRE GENRE - TOME 4 - KAZÉ

EXTRAIT

Île de Rishiri au nord du Japon

En ce mois de Novembre 2014, le vent entraînait la neige sur les montagnes par rafales intermittentes. La tempête grossissait et les flocons se faisaient plus fréquents. Le paysage montagneux s'enfonçait dans un amas confus de neige et de nuages blancs. La cabane fut très vite enfouie par la masse informe de neige qui s'accumulait sur le toit. Des monticules de neige s'accrochaient autour des pans de mur en rondins de bois. Il était temps de rentrer maintenant.

Le jeune japonais avait atteint l'âge adulte de ses 20 ans. Il était resté immobile sur un pilonne pendant quelques heures. Ses mains se gelaient et ses pieds étaient frigorifiés. Mais, il ne sentait plus la douleur ou du moins, le japonais la contrôlait à un niveau tel qu'elle disparaissait dans l'inconscience de sa mémoire corporelle. À travers le mugissement violent des rafales de neige, il perçut le tintement aigu d'une clochette. Un seul son qui signifiait la fin de la méditation.

Kazé descendit de son pilonne et s'aventura dans la neige drue et épaisse. Sa vue se floua mais il ne se fiait pas uniquement à sa sensation visuelle. Il ferma les yeux et comme un aveugle, il s'orienta diligemment vers la cabane. Il était dirigé par ses autres sens : l'odeur du saumon fumé chauffant sur le feu de l'âtre et le bruit des quelques ustensiles de cuisine. Il avait aiguisé ses sens à un point qui atteignait leur paroxysme. Le froid glacial s'engouffra dans la petite cabane quand le jeune homme ouvrit la porte. Un violent courant d'air manqua d'éteindre le feu qui crépitait dans le coin du foyer. Les flammes vacillèrent fébrilement de toute part. Elles dansèrent autour du plat en terre cuite qui reposait sur le feu. Sur celui-ci, des petits morceaux de poissons frais grillaient tranquillement. Les minuscules

poissons avaient été péchés le matin même dans un lac gelé en plein cour des montagnes dégarnies de sa verdure forestière. Le repas frugal était accompagné de riz que le jeune japonais allait chercher toutes les semaines au village cloué dans une minuscule surface de plaine enserrée par les pentes neigeuses.

De loin, on aurait dit une verrue coincée entre les replis d'un ventre affamé.

Kazé ferma brusquement la porte en bois et la verrouilla.

Yoshito Katano l'attendait en s'affairant à préparer la sobre nourriture.

La chaleur se diffusa dans la cabane chassant l'air glacial qui s'était brièvement logé. Ils étaient seuls tous les deux au milieu de ces immenses montagnes processionnaires dans le ciel cotonneux du Japon.

Les deux hommes s'étaient perdus volontairement au milieu de nulle part durant quelques années. C'était la dernière année de l'apprentissage du jeune guerrier avant de devenir un shinobi. Il devra alors quitter les siens et le camp d'entrainement. Il se séparerait de son maître et mentor, celui à qui il devait ce qu'il était devenu : un guerrier de l'ombre.

Un an avec son maître, partageant son quotidien, en se sachant jauger, examiner et au final admirer. Yoshito Katano approchait de la cinquantaine. Il portait une barbe noire et une courte queue de cheval qu'il affectionnait de laver et de peigner tous les jours. Ses yeux bridés affichaient un regard intransigeant mais juste quand la situation le fallait. Il parlait peu. Néanmoins, son regard en disait long. Yoshito était un homme à l'aspect très athlétique, un corps musclé très sec sans forcer sur sa masse musculaire. Yoshito dégageait comme tous les maîtres d'arts martiaux une virilité à la fois sereine et irrésistible. Et c'était de cette virilité que le jeune guerrier enviait à son maître.

Vivre un an en partageant l'espace contigu de la cabane obligeait le maître et le disciple à faire sauter les barrières de leur intimité.

Les deux guerriers avaient appris à se connaître avec leur propre caractère. Yoshito était un homme taciturne et réservé n'exprimant que rarement ses sentiments. Si le riz n'était pas cuit selon son goût, il le mangeait sans rien dire mais la commissure sur ses lèvres en disait long sur son mécontentement.