CHAPITRE 14 - SKYLAR

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Je m'arrête. Les pas aussi.

Mon cœur rate un battement.

Je me retourne en me doutant de qui il s'agit. Et je ne me trompe pas.

Il est là.

Il est toujours là.

Je me demande si j'ai déjà été vraiment seule depuis que je suis arrivée ici. Il porte le même masque que toutes les autres fois. Mon ventre se tord. J'ai même de légères crampes, mais je les ignore.

— Qu'est-ce que tu fais ici ?

Question bête.

J'ai l'impression de me répéter constamment.

Il s'avance d'un pas. Je l'arrête tout de suite :

— Non. Contente-toi de répondre.

Il s'immobilise. Et je le vois sortir un petit carnet de sa poche arrière avec un minuscule crayon qui, visiblement, a beaucoup servi.

Je suis curieuse. Il écrit quelque chose, puis me tend la page.

« Je ne peux pas ».

Comme si j'avais reçu un coup dans la poitrine, tout l'air que j'avais dans les poumons a été expulsé.

— Tu es muet ?

Il acquiesce.

Oh.

Soudain, une vague de compassion me submerge. Je repense à toutes les fois où il aurait peut-être voulu dire quelque chose, quand je ne l'ai pas laissé faire. Je profite de cet échange pour poser mes questions :

— Qu'est-ce que tu veux de moi ? Pourquoi est-ce que tu me suis partout ?

Il commence à écrire.

— Pourquoi tu te permets de rentrer chez moi à ta guise ?

Je m'emporte un peu. Je suis euphorique et impatiente à l'idée d'avoir enfin des réponses. Il cesse d'écrire et semble me fixer, comme pour m'intimer de me taire un moment. J'obtempère. Il reprend son écriture. Il semble hésiter plusieurs fois. Efface puis recommence. Et finalement, me tend une autre page.

« Je veux qu'on soit amis »

Un rire m'échappe, alors que je tente même de lire les vestiges de ce qu'il a d'abord effacé ; sans succès. Je le vois se tendre. Ça semble l'avoir contrarié. Mais... Qu'on soit amis ? Il se fou de moi ?

Je croise les bras sur ma poitrine, et en profite pour la cacher.

— Tu as une image singulière de l'amitié, toi.

La moquerie passée, je suis maintenant agacée.

— On ne suit pas les gens partout pour s'en faire des amis. On ne les agresse pas. On ne leur fait pas peur et on ne les...

Je m'arrête. Je sens mes joues chauffer à l'idée de lui rappeler ce qu'il m'a fait dans ma cuisine.

— ... On ne les accule pas dans leur cuisine.

C'est tout ce que j'arrive à dire. Et encore, je n'ose même pas le regarder.

Du coin de l'œil, je le vois écrire quelque chose. Mais au lieu de me le montrer directement, il arrache la petite page et me la tend, attendant que je m'approche de moi-même. J'hésite. Mais au bout de longues secondes, je finis par m'approcher. Je garde tout de même une certaine distance. De quoi, seulement, tendre le bras pour atteindre le papier. Je le lis :

« Je suis désolé ».

Sans que je ne m'y attende, les larmes me montent aux yeux. Je ne m'étais pas rendue compte que c'était tout ce que j'attendais. Ce dont j'avais besoin – qu'on me présente des excuses pour tout ce qu'il s'est passé.

Je ne suis, cependant, pas prête à les accepter.

Le faire, c'est tourner la page, excuser ses actes. C'est lui donner le droit d'entrer définitivement dans ma vie. Je ne suis pas prête pour ça. Pas prête à faire de lui une personne qui compte.

Alors, je plie le papier et relève les yeux vers lui. Maintenant que je suis assez proche, mon regard croise le sien au-delà du masque, pour la première fois.

J'ai un mouvement de recul. Il est sombre. Ses yeux sont pleins de rancœur et de colère. Ils expriment beaucoup de choses qu'il ne peut pas dire. Il est difficile de deviner l'expression de son visage. Mais il semble juste attendre une réponse. Je sais ce que je veux de lui : je voudrais qu'il me laisse tranquille une bonne fois pour toute. Mais j'ai peur que ma réponse le mette en colère, et me mette en danger par la même occasion.

Je prends le temps de le détailler pour ne pas avoir à parler tout de suite. C'est la première fois qu'il est aussi près de moi, sous une bonne lumière. Je n'avais jamais remarqué le tatouage qui recouvre son cou – dissimulé par son casque ou la pénombre. Il a toujours ce sweat large mais pas assez pour camoufler sa musculature impressionnante.

Il est énorme.

Puis mon regard accroche le médaillon qui pend à son cou. Je crois que c'est une plaque qu'ont les militaires américains. On y trouve l'identité de celui qui la porte.

Est-ce qu'il a fait l'armée ?

Mais... Quel âge a-t-il ?

Quand je relève les yeux vers les siens, il ne me regarde plus. Son regard est fixé sur mes jambes. Je baisse les yeux à mon tour. Et je sens mes joues chauffer une nouvelle fois. Mon visage se couvre de honte. Je saigne.

J'ai mes règles.

Une trainée a déjà atteint le sol. Je recule précipitamment. Il faut que je rentre me changer. Je sors en courant et m'enferme dans les vestiaires, trop honteuse pour réussir à dire quoi que ce soit. J'espère seulement qu'il ne m'a pas suivi jusqu'ici et que je ne le reverrai pas à la sortie ou devant chez moi.

Je file rapidement sous la douche pour me débarrasser du chlore et du sang. J'insère un tampon, me sèche et me rhabille en vitesse.

Je sors quelques minutes avant la fermeture de l'établissement. Je suis soulagée de ne rencontrer personne à la sortie.

Surtout lui.

UNKNOWN : LE STALKER [SOUS CONTRAT CHEZ BLACK INK]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant