La douleur que Lilian ressentait était telle qu'il croyait mourir. Les griffes sombres s'insinuaient dans sa bouche, son nez, ses oreilles, dans ses yeux. La violence de l'acte l'avait projeté à terre. Le miroir brillait tellement fort que l'enfant sentait sa peau brûler. Les ombres étaient plus noires et plus vivantes que jamais. Elles se déversaient en flots dans le corps de Lilian, prenaient possession de ses jambes, de ses bras, de son ventre. Rien ne les arrêtait plus.
La grande horloge de la salle à manger sonna seize heures. Les coups frappèrent le silence de la pièce dans laquelle dormait Tiffaine. Marc traversait déjà le couloir pour aller chercher son fils au grenier.
Les ombres s'insinuaient toujours dans le corps de leur victime, leurs griffes la déchirant de l'intérieur. Ses yeux exorbités semblaient prêts à exploser face à la pression.
Marc posa le pied sur la première marche de l'échelle. Il observa l'entrée. Il y faisait un noir complet.
Le miroir se mit à clignoter. Les ombres se pressèrent autour du corps secoué de spasmes de Lilian. Son œil gauche versa une unique larme.
La tête de Marc fit surface dans le grenier, face à son fils qui jouait calmement. Il sourit.
"Salut, mon coco. Viens goûter, il est l'heure."
Ce jour-là sa mère le trouva un peu pâle. Elle supposa que cela était dû au manque d'activité.
La vie de la famille continua son cours. Les parents insitaient régulièrement leur fils à sortir, qui docile, obéissait toujours et partait jouer dans le jardin. Il semblait s'être définitivement accommodé de sa nouvelle maison et les deux adultes s'en voyaient ravis.
Lilian ne se rendait plus au grenier. Ses parents d'abord n'y prêtèrent pas attention, puis commencèrent à se demander ce qui avait bien pu le lasser. Lorsque la question fut abordée avec Lilian, il leur expliqua que le grenier n'était rien de plus qu'un grenier et le miroir qui n'y siégeait rien de plus qu'un miroir. Cette réponse surpris Marc et Tiffaine, mais ils s'en contentèrent. Ils rangèrent donc l'échelle, et Lilian n'arpenta plus jamais le couloir.
Malgré les sorties, la mère du garçon continuait à le trouver pâle. Cette curiosité la tracassait d'autant plus qu'il lui semblait que plus les jours passaient, plus le teint de son enfant devenait grisâtre. Elle avait fini par l'emmener voir un docteur, qui avait affirmé que le gamin était en parfaite santé et qu'il ne lui fallait qu'un peu de grand air.
Le silence de Lilian inquiétait aussi. D'habitude bavard et énergique, il semblait désormais que ses forces le perdaient, tout autant que les mots. Les repas devenaient de plus en plus silencieux et ses parents en éprouvaient un profond malaise.
Leur vie devenait froide et triste, ponctuée de faux sourires et de regards inquiets. Souvent, quand Marc ou Tiffaine allait voir leur fils dans sa chambre, il le trouvait assis en tailleur au centre de la pièce, dos à la porte, sans aucun jouet ni livre vers lui. Lorsqu'on lui demandait ce qu'il faisait, Lilian se contentait de sourire.
Mais après le silence, la parole revint. Tiffaine aurait préféré qu'il continue de se taire. Un jour elle passa devant la chambre de Lilian. Elle était fermée, mais elle entendit tout de même quelque chose d'étrange. Une voix grave, bien trop grave pour son petit, parlait avec agitation. Lorsqu'elle ouvrit la porte, elle ne trouva que Lilian, assis en tailleur au centre de la pièce, dos à la porte, sans aucun jouet ni livre alentour.
Marc et Tiffaine ne pouvaient plus supporter ça. Ils ne comprenaient pas ce qui se passait, ils allaient discuter avec leur fils. Lilian venait d'engloutir son goûter et s'apprêtait à partir, mais sa mère le retint. Il la regarda avec une sérénité déconcertante. Marc, avec une voix qui se voulait douce mais catégorique, lui demanda de se rasseoir. Un long moment de silence s'ensuivit, Durand lequel Lilian observait sa mère en face de lui, le dos droit, clignant des yeux seulement. La jeune mère baissa les yeux.
"Lilian, tenta son père après un raclement de gorge, nous voyons bien que tu ne vas pas très bien, ces derniers temps. Ta mère te trouvait pâle depuis plusieurs semaines, tu le sais, mais tu es aussi devenu... Silencieux, calme, comme si quelque chose te tracassait et que tu n'osais pas nous le dire."
Un long silence suivit. Lilian ne cilla pas.
"Tu peux tout nous dire", ajouta sa mère.
Là, l'enfant baissa la tête. Une expression de profond désespoir se dessina sur son visage. Il dit à ses parents :
"C'est à cause du grenier."
Marc regarda sa femme sans comprendre. Tiffaine se mordit la lèvre. Ils sommèrent leur fils de s'expliquer, mais il refusa. Il préférait qu'ils voient par eux-mêmes. Alors toute la famille monta à l'étage, traversa le couloir jusqu'à la trappe et Tiffaine installa l'échelle. Il semblait que le grenier était plongé dans le noir total. Les parents montèrent en premier, Lilian suivit, le visage inexpressif.
La petite fenêtre ronde permettait à peine au soleil de traverser la pièce. La poussière s'envola sous les pas hésitant des deux adultes. Ils observèrent. La pièce semblait vide. Ils s'approchèrent du miroir, d'où une lumière malvenue s'échappait. Ni l'ombre de Tiffaine ni l'ombre de Marc ne se reflétaient derrière eux. Ils observèrent leurs visages dont les traits tendus les vieillissaient.
Puis, toute lumière disparue et un claquement sonore resonna dans le couloir. Lilian observa la trappe fermée d'où s'élevaient les cris de ses parents. Une ombre massive se dessina sur le mur et s'infiltra dans les interstices de la trappe. Elle devint noir, noir, Lilian ne voyait plus la trappe. L'ombre s'envola et laissa réapparaître un mur vide, d'où s'échappaient des bruits sourds et des voix qui hurlaient un prénom.
Lilian parcouru le couloir et descendit les marches, insensible aux supplications. Sa peau était plus pâle que jamais, aucune ombre ne se dressait derrière lui.
Fin
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31Histoires Pour Attendre Halloween 🎃
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