Lorsqu'ils descendirent du train, Kunst et Else se retrouvèrent pris dans la foule. En plus des familles qui portaient de lourdes valises, des hommes en costume de travail, et des ouvriers qui se bousculaient en parlant d'une voix forte, la gare était envahie de la fumée des trains, du crissement de la ferraille, et du brouhaha lointain des commerçants. En levant les yeux, Else vit voler quelques pigeons, qui se nichaient dans les voûtes de métal.
Elle lança un sourire à son frère.
- Allez, fit-elle en lui prenant la main. Nuremberg, nous voilà !
Et, sans prévenir, elle se mit à accélérer : slalomant entre les gens, les bousculant parfois, elle retenait d'une main son béret qui menaçait de s'envoler. Else était épuisée, la nuit avait été longue, mais hors de question d'attendre une minute de plus pour découvrir la ville.
En arrivant dans le hall central, elle ralentit cependant. Il était nimbé d'une lumière douce qui tombait majestueusement d'une coupole en verre. Les restaurants, les kiosques du hall, avaient des enseignes décorées de dorures, et des personnes en costume ou en robe y allaient et venaient en riant. On sentait le café et le pain, mêlés aux odeurs du tabac et de la suie. Else inspira – c'était la meilleure matinée qu'elle avait eue depuis longtemps.
La gare s'ouvrait sur une grande avenue pavée, où circulaient des voitures et des automobiles. De loin, on apercevait l'enseigne d'un grand magasin. Il y avait quelques maisons en briques, et d'autres, plus anciennes, des maisons à colombages de différentes couleurs. Les yeux d'Else virevoltaient partout, elle n'avait pas l'habitude de voir autant de bâtiments, mais surtout autant de monde au même endroit. La ville semblait très moderne.
Alors qu'il traînait derrière elle, Kunst s'interrompit pour lui parler.
- On... va manger quelque chose ? demanda-t-il.
Else hocha la tête.
- Il y a plein de restaurants. Mais on ne pourra jamais se le permettre avec l'argent qu'il nous reste... Si on a de la chance, on trouvera un marché.
C'était déjà la fin de matinée, alors il fallait aller vite. Kunst se mit à marcher plus rapidement ; ouvrant grand les yeux. Alors qu'ils descendaient dans la ville, ils passèrent devant une petite place avec une fontaine. Else demanda son chemin à une dame qui passait avec une poussette. Deux rues plus tard, ils étaient au marché.
- Qu'est-ce que tu veux manger ? demanda Else à son frère.
Elle avait sorti de sa poche le reste de leurs économies. Même si le marché était dense, il n'y avait pas autant de monde que dans la gare, et elle ne voulait pas se faire attraper le premier jour, donc tant pis, leur argent y passerait.
Kunst regarda les étals d'un air soucieux. Il y avait beaucoup de légumes crus, du poisson, de la charcuterie. Beaucoup de choses qu'il ne pouvait pas manger.
- De la brioche, dit-il en haussant les épaules. Ou... de la purée ?
- De la brioche, trancha Else très sérieusement. Définitivement de la brioche.
Il eut un petit rire.
- D'accord.
Else se rendit sur un étal de boulangère, commanda de la brioche au sucre, du pain, et du fromage frais. Un festin – leurs économies y étaient passées, comme prévu.
- Il va falloir se débrouiller, maintenant, fit Kunst d'un air triste.
- Plus tard, répliqua Else en balayant sa remarque d'un revers de main. Maman nous avait laissé cet argent pour le train, c'est déjà énorme. On va se débrouiller.
VOUS LISEZ
Siegfeld Magic Tour
Mystery / ThrillerKunst et Else, deux orphelins, sont recueillis par le grand magicien Cosmo Siegfeld pour voyager à travers l'Allemagne du XIXe siècle et présenter leur spectacle. Mais des crimes et des fantômes parcourent les villages qu'ils traversent, et le grand...