Le temps qu'il faut

XVII - Bénabar

« On s'en fout, on n'y va pas, on n'a qu'à s'cacher sous les draps, on commandera des pizzas, toi, la télé, et moi. » - Bénabar, le diner

-Qu'est-ce que tu faiiis ?

Raphaël soupira et ne répondit pas, ne faisant même pas l'effort de lever les yeux vers son interlocutrice. Il ajouta un nouveau trait à son dessin et s'arrêta quelques secondes pour vérifier que tout allait bien comme il le souhaitait. Il hocha la tête, rectifia quelques petites choses et reprit son avancée.

-Tu dessines ?
-Non, j'bricole. Bien-sûr qu'j'dessine, Océane, qu'est-ce tu veux qu'j'fasse d'autre ?

La jeune fille, contrariée, afficha une mine boudeuse et grommela quelque chose à propos de lui étant « vraiment con » et commençant à devenir aussi sarcastique que « ce connard d'Alex ». Raphaël n'y fit pas attention et continua son croquis. Il ne remarqua pas que sa meilleure-amie se penchait discrètement vers lui, faisant des pieds et des mains pour voir ce qu'il crayonnait.
Océane était curieuse car, d'habitude, l'adolescent utilisait une feuille par cours, au pire, une par demi-journée. Or, cette feuille là, il la traînait depuis depuis le début de la matinée et elle se demandait même si ce n'était pas la même qu'hier après-midi. Raphaël n'avait encore jamais passé plus de vingt-quatre heures sur le même dessin - pas plus de quelques heures en réalité. Quelle ne fut pas sa surprise devant la familiarité du portrait. Le nez n'était pas réussi, les lèvres un peu trop grosses, les cheveux prouvaient que tout était fait de mémoire et il y avait un je-ne-sais-quoi dans ses yeux qui sonnait faux mais... c'était indéniablement Alexander.
Raphaël effaça soudainement les yeux et les recommença. Il prenait son temps, si bien qu'Océane n'était vraiment pas certaine qu'il aurait terminé d'ici la fin de l'heure.

-C'est super bien fait, Raph.

L'adolescent sursauta et leva enfin les yeux vers elle. Il cacha son dessin avec ses mains et lui lança un regard noir.

-Si j'te montre pas c'est qu'j'veux pas que qu'tu vois, Océane.
-Ça va, ça va, tu vas pas en faire tout un drame. Et puis c'est pas comme si j'avais dit qu'c'était dégueu non plus.
-Même, ça a rien à voir. J'veux pas que tu r'gardes, c'est tout.
-Oui bon, j'ai compris, je l'ferais plus. Raphaël reprit son dessin, bien que toujours grognon, et il y eut un silence avant que la jeune fille ne reprenne. Tu m'le montreras quand il sera finit ?
-Peut-être.

Mais il était réticent à cette idée et ça s'entendait au ton de sa voix.

-T'as jamais tenté de dessiner dans un carnet ou au moins sur une feuille blanche ?
-Pourquoi j'ferais ça ?

La sonnerie retentit et Raphaël rangea ses affaires en vitesse, lâchant un « enfin ! » qui se perdit dans le brouha de la classe. Son amie glissa une feuille sur son bureau et il s'interrompit quelques secondes en constatant qu'elle avait répondu à certaines des questions parmi les nombreuses que contenait le poli-copié confié par leur professeur à un surveillant afin qu'ils travaillent pendant son absence. Il la questionna du regard mais elle haussa les épaule. Il savait qu'elle n'osait rien dire, de peur qu'il ne s'énerve ou ne jette les précieuses réponses par simple provocation. Mais Raphaël se contenta de ranger la feuille avec son croquis.
À la sortie de la salle, ils tombèrent sur Roxanne qui était apparemment au prise avec deux gros lourdauds dont elle ne parvenait pas à se défaire.

-Ça va, Roxanne ? demanda Océane.

L'adolescente se retourna et un net soulagement apparut dans ses traits lorsqu'elle les vu.

-Foutez-lui la paix, reprit la rouquine d'une voix ferme.
-Eh c'est bon, déstresse, Océane, on fait qu'parler.
-C'est ça ouais, ba nous on va juste prendre le car et on a pas besoin d'vous pour ça.
-Parle mieux non, on t'a pas mal parlé nous à c'que j'sache.
-C'est bon, les gars, y a zéro problème, ok ? intervint Raphaël qui sentait les esprits s'échauffer. Vous avez pas un car à prendre, vous ? demanda-t-il aux deux filles avec un regard insistant signifiant qu'elles avaient intérêt à filer maintenant. Et vous aussi non ? ajouta-t-il à l'intention des deux autres.