Chapitre 13: On se connaît par cœur (Tom et Nicolas)

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Sortie de l'institut médico-légal. Pas plus avancé que ça. Enfin si, le cadavre est bel et bien celui de Will Beller, mort dimanche dans la soirée. Il faut encore joindre la famille et organiser un enterrement, encore un autre... la Mort ne s'arrête jamais, elle tombe soudainement comme une averse glaçante, tranchante. La folie n'arrête jamais non plus, rien ne s'arrête. Depuis 30 ans, c'est la même chose, la même rengaine. On remet le couvert et on se met à table.

Tom se grille une cigarette (pas très étonnant) alors que Nicolas mange une pomme (pas très étonnant non plus), chacun sa façon de se tirer de l'Enfer. L'un se shoote à la nicotine et l'autre consomme des vitamines à pleines dents, toujours un creux dans l'estomac. Un creux béant qui ne cesse de saigner, sans cesse, encore et encore, ça, c'est leur point commun. Ils ont tous les deux un énorme trou à la place du ventre. Être flic, ce n'est vraiment pas facile tous les jours.

« -Du coup, on fait quoi maintenant ? demande Nico en mangeant sans grand appétit.

-On va rester sur Paris ce soir, je suis crevé et toi aussi je pense... on repasse au 36 pour faire le point et demain on y retourne... »

Nicolas hoche la tête, sans rajouter un mot alors qu'il se met à suivre Tom qui est déjà loin devant, traçant sa route. Une légère brise transperce l'air, le manteau du grand brun se soulève au passage alors que sa clope ne bouge pas de ses lèvres brûlées. De dos, il est vraiment impressionnant. En fait, Nico a toujours été impressionné par ce mec, en même temps, il a un grand palmarès, c'est un grand homme courageux et qui fait de son mieux, un jour, il aimerait être comme lui, un homme comme lui, peut-être dans 10 ans, après tout, le temps passe vite.

Le temps passe vite. Nicolas le sait. À l'aube de ses 40 ans, il le sait encore plus. 40 ans, c'est l'âge fatidique pour les hommes, ça y est, il a vécu la moitié de sa vie. Et bien... Nico est un peu arrivé par hasard dans ce monde, ce n'était pas comme Tom qui avait une certaine vocation, un souhait d'être flic. En fait, Nicolas était un ancien délinquant, un mec pas net qui commettait des larcins notamment dans le trafic de drogue, il a d'ailleurs été toxicomane pendant longtemps et SDF, le trafic servait à subvenir à ses besoins et à ne pas sombrer. Il n'a jamais eu de chez lui, de femme, d'enfants, rien. Pas de famille, pas de refuge. Sa bouée de sauvetage, ce fut Tom. Son phare dans la nuit froide des bas-fonds de Paris, là où personne n'ose s'aventurer sauf lui, Tom.

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2003. C'était un hiver particulièrement froid, si bien que la neige était tombée sur la capitale, la Tour Eiffel était vêtue d'un duvet blanc qui lui allait à merveille. Tout est beau quand il neige, c'est magique la neige, les flocons, les bonhommes de neige, la joie des passants, ça ce n'est que pour les beaux quartiers. L'autre côté du tableau est ce qu'on peut appeler un désastre, un violent contraste.

Les rues étaient encore plus gelées dans les bas-fonds. Pas de beaux lampadaires, de guirlandes de toutes les couleurs ou encore d'odeurs de café chaud. Ici, ça puait la crasse, le danger, la vulnérabilité. Ne pas fermer les yeux, rester vigilant, les mains dans les poches, ne pas dormir. Ne pas dormir. Ne pas dormir.

Sursaut. Une bagarre éclatait à quelques mètres, des mecs bourrés qui se disputaient pour un rien. Puis encore plus loin, du trafic de drogue ou encore de la prostitution, là, on touche le fond des bas-fonds. Un homme dans une couverture avec un bonnet peinait à garder les yeux ouverts. Ne pas dormir. Ne pas dormir. Ne pas dormir.

Qu'est-ce qu'il foutait là ? Dans le froid complet. Avec une simple couette pour se protéger des attaques de la neige brulante, son visage était complétement couvert d'engelures et de rougeurs, ça le démangeait, ça lui faisait mal. Ses doigts étaient gelés, il avait du mal à les sentir encore. Peut-être qu'ils avaient fini par tomber ? Comme ses larmes qui avaient-elles aussi finit par tomber. C'était beaucoup trop pour un seul homme. Alors ses larmes coulaient le long de ses joues gelées et glaçait encore plus sa peau abîmée par le temps qui passait et les différentes saisons. Le pire, c'était l'hiver.

Un village trop tranquilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant