Je grimpai péniblement sur un monticule de béton pour constater plus en détail la désolation de notre ville.
La terre était boursouflée, craquelée, retournée. Plus aucun bâtiment ne respectait de perpendicularité avec le sol, certains ressemblaient à des arbres morts d'où pendaient des poutres d'acier comme des branches perdants leurs feuilles de béton et de plâtre en automne. Les immeubles restés debout penchaient dangereusement dans le sens de la vague, vidés de toutes vies par le souffle démentiel. De la poussière de gravas sortait encore des orifices des tours. Des particules de verre flottaient dans les airs faisant scintiller ces monstres blessés. La scène pouvait paraître magnifique.
Les canalisations souterraines torturées saignaient de multiples geyser d'eau et de feu qui jaillissaient du sol par endroit. Les installations publiques et les véhicules saupoudraient la surface de la ville dans un désordre jamais conçu comme de vulgaires jouets sur le tapis de jeu d'un enfant. Des petites marres remplies des eaux fuyantes des égouts s'étaient installées dans les moindres affaissements de terrain. L'asphalte des routes jouaient à des jeux d'imbrications de casse-tête chinois. Les crevasses dans le goudron dessinaient des courbes tranchantes artistiques. Ces cassures provoquaient par endroits des différences de niveau. Ces artères routières complètement dévastées me faisaient penser aux maquettes sur mes cours de l'activité des plaques tectoniques du globe.
Bizarrement la présence des cadavres intacts ou décharnés ne choquait pas dans le visuel d'ensemble. Ils se fondaient à l'acier et la pierre et avaient pris une coloration minérale. Des bancs d'oiseaux volaient à basses attitudes commençant à tournoyer autours de la chair fraîche. Les rats défilaient en horde par centaine sur les monticules de gravats. Ils étaient énormes. Comment avons pu nous vivre temps d'années en ignorant la présence de ces animaux dans les entrailles de notre ville? Tous les bruits de la vie quotidienne moderne avaient disparu. Le silence nous rongeait, nous terrifiait, nous faisait perdre l'équilibre. De nouveaux sons, plus fin, plus violent, moins mécanique, plus bestiales agressaient nos tympans. Ils s'opposaient constamment nous faisant sursauter. Celui des griffes des rats se propageant sur le béton, du dépeçage des entrailles par les becs ensanglantés des oiseaux charognards, les fontaines d'eau, des sifflements de fuites de gaz, contrastait avec celui de la chute des gravats, des explosions intermittentes, des effondrements de maisons, des alarmes bloquées. Mais bientôt les bruits les plus violents cessèrent et la ville plongea dans un silence profond où seuls les animaux se faisaient entendre. Nous, enfants de la ville, nous n'avions jamais entendu la nature parler. Notre peau était recouverte de brûlures, d'ecchymoses, d'une couche de crasse qui nous rendaient complètement insensible. La poussière avait envahi nos narines et nos poumons nous laissant la bouche pâteuse et farineuse. Nous nous sentions perdu par la vue, les sons, les odeurs, le toucher et le gout. La perte des repères de nos cinq sens provoquait des vertiges sur la plupart d'entre nous.
L'heure était aux pleurs, à l'anéantissement de soi-même, au désespoir, aux crises de nerfs pour certains, à la réclusion mentale pour d'autres. Les jambes de beaucoup avaient cédé sous le poids de leur corps meurtri. A genou dans la boue, les yeux perdus sur une pierre. Leur vie, leur famille passaient à la râpe dans leur cerveau. Tout ce qu'ils pensaient important; le confort, les fringues, l'attitude, la musique, les people, l'argent, tous se gommaient avec un sourire décalé révélant le ridicule de leur vie d'adolescent. Car aujourd'hui, une seule chose allait compter ; leur survie.
Chacun divaguait de son côté. Il fallait retrouver une unité de groupe car à plusieurs il serait plus simple d'affronter les dangers encore inconnus de leurs petites existences faciles. Je les regardais tous, un par un, et personne ne semblait pouvoir agir. Est-ce que moi je pouvais intervenir pour organiser notre groupe, rassembler et remotiver la troupe? Je ne sais pas, moi qui étais un élève transparent dans ma classe. Je ne dois pas avoir les capacités pour diriger des personnes en crise. Depuis une heure, de fait je n'étais plus un élève, mais un survivant. Ce qui me mettait sur un pied d'égalité avec tout le monde. J'avais l'occasion de trouver une nouvelle place dans ce groupe, dans ce monde.
Je me dirigeais vers mon ami d'enfance et je lui posai la main sur son épaule tout simplement pour relier le contact et le sortir de sa léthargie. Fabrice tourna son visage rempli de larmes noires vers lui.
"Qu'allons-nous faire maintenant, Micaël ?"
Cette demande était un appel pour moi, pour que je prenne les choses en main. Il fallait que je teste le reste du groupe dans ce sens.
"Nous allons nous relever, nous réunir, nous soutenir et chercher de l'aide, de la civilisation pour subsister."
Les garçons s'étaient relevés et entreprenaient des recherches sur la montagne du lycée en ruine. Chacun soulevait les blocs de béton que leur force permettait. Ce qui paraissait dénué de corps humain de loin se changea en vision d'horreur de près. L'amas de décombres était jonché de bout de cadavres ; des bras, des jambes, des viscères séparés de leur corps. Romain défaillit brusquement, penché les mains sur les genoux, vomissant toute sa bile. Le dégoût de la chaire arrachée avait eu raison de son déjeuner. Chris le soutint, le releva et l'encouragea à continuer ses efforts.
Les filles étaient restées près du local à poubelles intacte. Elles s'occupaient de Syvanna touchée au front. Je les rejoignis. J'avais fini de déchirer la manche du col roulé blanc, immaculé de sang à présent, pour lui confectionner un pansement. Une partie du tissu me servait de compresse posée sur la plaie, et l'autre partie de bande enroulée autour de la tête maintenait la compresse. Tania soupira de soulagement quand sa sœur remua les lèvres avant de reprendre connaissance.
Vanessa s'isola derrière une benne pour uriner. Quand elle eut fini sa commission accroupie, elle pensa à l'absence de papier toilette. Elle demanda à Tania un mouchoir en papier. Celle-ci les avait perdus dans les décombres avec son sac à main. Soudain, Vanessa pris conscience de l'ampleur de la catastrophe sur leur vie. Il n'y aurait plus de toilette, de papier toilette, de culotte de rechange Kookaï, de serviette hygiénique, de tampon. Une crise d'hystérie l'envahit, elle cria en pleur, se leva les fesses à l'air et se jeta dans les bras du premier venu. C'était Fred qui fut à la réception.
" On est foutu ! On n'a plus rien... Plus rien, sanglota Vanessa le jean sur les chevilles.
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Chaos³
Science FictionQuand un petit groupe de lycéens se prend en pleine face l'apocalypse. Quand leur petite vie commune est dévastée par le souffle de la mort. Quelle est la nature de la fin du monde ; une catastrophe naturelle, une attaque nucléaire, une invasion ext...