En manière de préface :
Malgré tous les travers de ce livre que je relève ensuite, j'en mentionne une propriété qui, logiquement, devrait n'être pas compatible avec le système éditorial français s'agissant d'un auteur qui n'y était pas déjà introduit, je veux dire qu'il s'agit d'un roman stylistiquement exigeant et d'un abord un peu difficile. C'est ce qui me fit rechercher l'origine de sa publication, puisqu'il n'était selon moi pas possible que le manuscrit eût été élu parmi les mythologiques réceptions de la poste qu'aiment encore à vanter les éditeurs qui nous prennent pour des idiots et ne cherchent qu'à complaire largement par leurs marchandises. J'ai découvert, bien sûr, que tous les éditeurs refusèrent les envois de l'auteur, et qu'il fallut à l'un de ses amis, M. Échenay, qui désespérait de le voir paraître, non seulement éditer le livremais fabriquer la maison d'édition qui n'existait pas, La Volte, dans l'espoir que La Horde du Contrevent pût rencontrer un jour un public.
Or, il semble qu'avant cet acte de générosité louable il y eut une fois encore les odieuses, turpides, scabreuses, tractations habituelles, compromissions normales du monde de l'édition où l'on péripatétise ; Damasio, en remerciements, écrit : « Jacques Chambon devait à l'origine m'éditer chez Flammarion, avant qu'une mort subite ne le fauche. J'ai déjeuné quatre ou cinq fois avec lui, il adorait ce roman et l'avait soutenu avec un enthousiasme que je trouve rétrospectivement magnifique. Je garde de lui un souvenir, etc. » C'est typiquement le genre d'aveu qu'auteurs et éditeurs, mus par un reste trop humain de franchise, devraient s'abstenir de faire, ceci dévoilant un peu trop leurs procédés et qui ils sont. Comment M. Chambon a-t-il pu « promettre » à M. Damasio l'édition chez Flammarion sans la lui « offrir » ? Quel intérêt a-t-il eu d'organiser ces repas ? Qu'est-ce encore que M. Chambon réclamait de modifications au texte pour n'avoir signé aucun contrat et pour que le projet fût abandonné avec son décès ? Tout ceci est sinistrement mystérieux comme de coutume, en particulier aux naïfs invétérés qui continuent de croire, malgré mes communications, que pour bénéficier des services d'un éditeur il ne faut que lui envoyer un manuscrit, qu'il juge le texte suffisant, que les partis signent un contrat mutuellement profitable et soient quittes pour une collaboration assise sur le respect et la légalité. Il n'en est rien : M. Chambon assurément négociait encore, et le marchandage trouva sa mort mal disposée à poursuivre le tripotage. Il n'y a en tout ceci même plus d'interprétation ou de critique : c'est d'un cynisme et d'une abjection si nets que leur évidence rend inutile de les moquer ou de les conspuer.
***
C'est un roman inutilement pénible que La Horde du Contrevent, qui appartient à ces livres modernes et récurrents dont la propriété essentielle est de convertir, chez le lecteur, sa peine inutile en une obstination vaine : on veut « savoir la fin » – un « page turner », et voici à mon sens le compliment le plus paradoxal qu'on puisse adresser à un auteur en lui indiquant qu'un Vulgaire du siècle de grand vide intellectuel où nous vivons le feuillète vite, par foules et sans difficulté (l'équivalent du « blockbuster » pour un film, qui signale toujours l'artisanat pour cohue idiote et sans art de réalisation) –, cependant on n'ignore pas logiquement que selon l'improfondeur caractérisant l'intrigue, la fin sera fatalement décevante et vide. Oui, mais c'est comme une récompense qu'on veut s'octroyer de s'être laissé accaparer jusque là : on veut aller au bout de son ennui pour se féliciter d'y être parvenu, après quoi l'on oubliera l'ennui, on oubliera la longue envie d'en finir, qui ne sont pas valorisants et évoquent un néant d'obligation, pour ne retenir que la bravoure de l'effort, puis on exhaussera le livre même pour que l'effort se soit appliqué valablement, comme si un bon livre relevait de cette manière de s'assommer. La seule trace que laissent de tels livres – un Contemporain ne saurait le reconnaître puisqu'il a tout fait pour ne pas s'en souvenir –, c'est le sentiment d'une sorte de « marathon » de lecture, obnubilant, mené en un temps relativement bref, annihilant la pensée et notamment le jugement critique, et poussant le cerveau et les yeux à une compétition de mots lus sans que le plaisir ou l'intelligence y soient de quelque chose, ni que la volonté compte : on ne désire stupidement et par inertie plutôt que par véritable et saine curiosité, que déboucher sur le dernier mot – une oblitération ou un désœuvrement de la raison –, et l'on pense parfois à l'espèce de triomphe et de réconfort qu'on ressentira lorsqu'on rangera enfin l'ouvrage dans la bibliothèque, certes plus ou moins affectueusement, et pourtant presque avec rage.
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Chroniques wariennes (mes critiques littéraires)
Документальная прозаDes critiques de ce que je lis, écrites peu après avoir lu.