Premier contact

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Cinquante pour cent...

Cinquante pour cent de risque de mourir.

Comme chaque jour, cette pensée m'effleure l'esprit. Elle est toujours présente. La plupart du temps, elle se cache, reste sage, m'offrant un moment de répit. Mais, parfois, elle me saute au visage et comprime ma poitrine dans un étau de fer.

Cela fait quinze mois que le Covid 19 a muté en une version mortelle à cinquante pour cent. Le Covid 119. Cent cinquante millions d'êtres humains en sont déjà morts. Ce variant se transmet par les fluides corporels : le sang, la salive, le sperme, la sueur.

Quinze mois que les contacts physiques sont strictement interdits et le port du masque obligatoire en permanence et partout. Des familles entières vivent dans la même maison, chacun cloîtré, seul, dans une pièce. On se protège du virus pour survivre, mais est-ce vraiment une vie... ?

Je ne suis pas le plus à plaindre, je me trouve même chanceux. N'ayant aucune famille, pas d'amis, la solitude, je connais. Je ne souffre donc pas des restrictions. J'étais déjà seul bien avant que la catastrophe sanitaire n'éclate. Je n'ai que ma vie à sauvegarder.

— Mew, voici la nouvelle série de prélèvements, m'apostrophe mon collègue Run, avec un de ces éternels masques humoristiques.

Aujourd'hui, un adorable museau d'Ours orne son visage. Je suis toujours stupéfait de constater qu'il réussit à garder sa bonne humeur malgré la situation critique. Il dépose sur ma table d'analyse, à une distance raisonnable, une boîte scellée contenant des dizaines de prélèvements sanguins. J'observe les fioles écarlates et comme toujours cette idée fixe revient à la charge : Cinquante pour cent de chance de mourir.

Je suis technicien laborantin pour le plus grand groupe pharmaceutique de la planète : KlaxoSmithGlare Vaccines. Mon boulot consiste à vérifier l'efficacité du nouveau vaccin contre le Covid 119, le KSG213. Deux cent treize tentatives, deux cent treize échecs. Chaque jour, je teste de nouvelles variantes du vaccin pour trouver la bonne combinaison qui nous sauvera tous. Le sang contenu dans les fioles appartient à des patients contaminés. Je sais déjà que la moitié de ces flacons est tout ce qu'il reste de ces pauvres âmes.

J'enfile mes gants fins en latex et soulève précautionneusement la boîte hermétique. Les flacons cliquettent doucement quand je la manipule. Je tape un code sur le panneau lumineux face à mon poste de travail. Un bruit familier me signale que l'atmosphère a été rétablie dans le sas. Je coulisse le panneau en verre trempé transparent et dépose le contenant au centre de l'espace sécurisé. Après avoir entré à nouveau mon code, un suintement confirme que l'air a été propulsé à l'extérieur de cette petite cage de sécurité. C'est le seul rempart entre moi et le virus mortel : une atmosphère privée de son air, une paire de gants épais en caoutchouc, que j'enfile, et une vitre. Je peux commencer mes analyses.

Tout le lot est négatif. Aucune efficacité du vaccin sur ces échantillons de sang. L'abattement me submerge. C'est pourtant notre seul espoir. Les traitements vaccinaux pour les précédents variants avaient prouvé leur efficacité. Le monde entier s'était rué sur ces remèdes inespérés. Des émeutes gigantesques avaient éclaté aux quatre coins du globe. La population, désespérée, voulait se faire vacciner le plus vite possible pour avoir une chance de ne pas contracter le virus et retrouver une vie normale. Mais le Covid 119 est apparu.

Toucher ses proches est un luxe que plus personne sur cette terre ne peut s'offrir.

Je m'affale sur mon siège, la poitrine comprimée. Je ferme les yeux, en posant la tête sur le dossier. Je dois garder espoir et ne pas baisser les bras. Je ne suis pas le seul à effectuer ces analyses, nous sommes des centaines rien qu'à Bangkok. Peut-être qu'un de mes collègues a eu plus de chance...

La mort à fleur de peau - MewGulfOù les histoires vivent. Découvrez maintenant