Covoiturage (Histoire lesbienne)

Chapitre 5

Blagnac, parking de Siczon

Appuyée contre ma voiture, j'étais dubitative et presque un peu énervée. J'avais pris le temps, avant de partir, de regarder ce fichu organigramme. En remarquant que seuls la première lettre du prénom et le nom de famille étaient renseignés, j'avais maudit Camille. Mais notre pauvre alternante faisait avec la place qu'elle avait, et sans ce raccourci, le document serait très certainement illisible. Au départ confiante, j'avais survolé les noms, en me disant que j'allais vite trouver ce que je cherchais. Mais au bout de dix minutes, j'avais craqué, et j'avais utilisé la fonction rechercher. Et rien. Que ce soit "M.Delmur", "M . Delmur ", "M Delmur" ou même "M;Delmur", rien. J'avais tout essayé, et aucune personne se nommant Delmur n'était présente sur le document. 

Voulant être sûre que Camille n'avait pas oublié quelqu'un, je m'étais rendue sur la boîte mail du travail, et encore une fois, aucune Maëlle Delmur. Qu'est-ce que c'était ce bordel ? C'est pas possible que je fasse du covoiturage avec quelqu'un n'appartenant pas à l'entreprise, non ? 

Mon téléphone sonna soudainement. Agacée, je pensais que voir le nom "Vanessa'' allait me détendre, mais ce ne fut pas le cas. Quand elle m'appelait la première, c'était rarement bon signe. 

_ Allo ? 

_ Coucou ma chérie. Je te dérange ? 

_ J'allais partir du travail. Tu vas bien ?

_ Oui, ça va. Je voulais te proposer un petit skype ce soir… J'ai acheté une nouvelle tenue et je voulais ton avis… 

Ah. Bien sûr… Je me doutais bien qu'elle voulait ce genre de chose. Sa voix charmeuse me fit faire une grimace.

_ Tu n'as personne pour te donner son avis en réel ? 

_ Quoi, qu'est-ce que tu insinues ?

_ Sérieusement, Vanessa, tu… 

_ Bonsoir Nelly… 

Je me retournai vers Maëlle, surprise de son intervention. Depuis quand était-elle là ? 

_ Je dois y aller Vanessa, on s'appelle plus tard. 

_ Hein ? C'était qui cette fille ? Putain Nelly ! 

_ Tu n'as rien à dire, bonne soirée. 

Je raccrochai, n'écoutant même pas son avertissement, et me grattai la tête. La honte avait rapidement pris le dessus sur la colère… 

_ Tout va bien avec votre compagne ? 

J'ouvris grand les yeux, choquée. 

_ Vous saviez ? Que j'étais lesbienne ?

Maëlle sourit, en me tapotant l'épaule avant de faire le tour de la voiture. Je compris qu'elle voulait entrer dedans, donc je fis fe même. 

_ Je le savais, oui. Je crois que tout le monde le sait. 

_ On parle de moi dans la boîte… ? 

J'en avais conscience, mais je n'avais jamais réalisé. 

_ Un peu. Mais c'est surtout à cause de l'incident de la fête cet été. 

En entendant ça, je devins toute rouge. 

_ Vous étiez là ? 

_ Bien sûr ! On a beaucoup rigolé avec Abdel, c'était un des trucs les plus drôles que j'ai vu dans une entreprise ! 

J'avais du mal à me concentrer sur la route tellement j'étais gênée. Cette soirée n'était pas une de mes plus grandes réussites… Complètement ivre, j'avais expliqué qu'une femme avec une bague sur le pouce était clairement lesbienne. Une collègue fana de bijoux avait très mal pris ma réflexion, et nous nous étions pas mal disputées, moi expliquant à quel point être lesbienne était génial et elle complètement choquée, jusqu'à ce qu'elle essaye de m'embrasser. Embarrassée car en couple, et bien trop alcoolisée, j'avais évité ce baiser en faisant une roulade… et après je ne me souviens pas trop. Je sais juste qu'une bonne âme m'avait accompagné aux toilettes le temps que je me purge et m'avait même brossé les dents. Je m'étais réveillée le lendemain chez Mylène avec une sacré gueule de bois. Depuis je ne buvais plus durant les soirées du travail. 

Comme je ne parlais plus, Maëlle effleura ma main posée sur ma jambe, et la retira aussitôt. Elle avait l'air inquiète, et une question me tortura l'esprit. Pourquoi était-elle si tactile ? 

_ Ça va bien, Nelly ? Si ma présence peut être mal interprétée, n'hésitez pas à la rappeler, je..  

_ Elle n'a rien à me dire. Mais merci, Maëlle, j'apprécie. 

_ Ça ne se passe pas bien avec elle ? 

Pourquoi y avait-elle tant d'inquiétude dans sa voix ? Pourquoi me donnait-elle l'impression que je pouvais avoir confiance en elle ? Sans savoir pourquoi, je me confiai pour la première fois de ma vie sur ma relation : 

_ Pas vraiment. Nous ne sommes pas exclusives. Enfin, elle m'a toujours dit que tant qu'on était en couple à distance, elle voulait qu'il soit aussi libertin. Au départ ça ne me derangeait pas plus que ça. Je ne ressentais pas le besoin d'aller voir d'autres femmes, car elle me suffisait amplement quand nous nous voyions… Mais depuis un moment…

_ Elle semble prendre soin davantage des autres que de vous ? 

_ Ouais… Je ne peux pas lui en vouloir. Mais je sais que quand elle m'appelle, c'est qu'elle a l'impression de m'avoir trahie. Enfin bon, ce n'est pas bien important.

Me surprenant, Maëlle demanda : 

 _ Vous êtes toujours amoureuse ? 

_ Je… je crois. 

La jeune femme ne dit rien, et me laissa un instant sans réponse, comme si elle m'accordait du temps pour bien y réfléchir. 

_ Elle vous manque ? 

Non. La première réponse qui me vint fut "non". Et cette constatation me brisa le coeur. Est-ce que Vanessa s'éloignait de moi car mes sentiments pour elle s'atténuent, ou mes sentiments s'atténuent-ils car elle s'éloigne de moi ? Bonne question… 

_ Allez-vous à la soirée de l'entreprise, demain soir ?

_ Heu… je ne sais pas, je comptais vous en parler avant. 

_ Chouette, allons-y, alors. Ça vous rappellera peut-être des souvenirs. 

Son air mutin embrasa mon ventre. Bordel, pourquoi me sentais-je autant attirée par elle ? Était-ce à cause de l'absence de Vanessa, ou à cause de ses charmes ? 

Sans m'en rendre compte, Auterive était déjà là. Lorsqu'elle descendit de la voiture, Maëlle me sourit tendrement. 

_ Une relation de ce type, ça doit être accepté et profité des deux côtés, vous savez. 

Je lui rendis son sourire, et l'observait partir jusqu'à l'autre voiture. Merde, j'avais oublié de lui parler de l'organigramme….