Nous avions prévu de reprendre le train pour l'Angleterre dès le lendemain soir. Cela signifiait que nous avions un jour et demi devant nous, ce qui devait nous laisser largement le temps d'apercevoir mon père et de nous remettre en route ensuite.
Les dernières heures du petit matin s'écoulèrent lentement, mais finalement le jour finit par arriver. J'avais passé le reste de la nuit dans le fauteuil sur lequel je m'étais installée et j'avais regardé par la fenêtre la ville s'éveiller. Cette ville dans laquelle j'avais grandi et que dès aujourd'hui je quitterai pour toujours. La nostalgie et la tristesse avaient fini par m'envahir. Noah, lui, était resté allongé sur le lit et avait tenté de faire passer le temps en visionnant les programmes insipides que la télévision avait diffusés. Nous n'avions décidément pas beaucoup parlé depuis le début du voyage, mais ni lui ni moi n'arrivions à nous départir de ce qui nous amenait ici et à parler d'autre chose. Nous vivions tous les deux ce voyage comme une parenthèse par laquelle il nous fallait passer, chacun pour des raisons différentes.
Nous n'avions cessé de regarder les aiguilles de l'horloge se trouvant sur un des murs de la pièce et dès que l'heure sembla raisonnable, nous nous décidâmes à quitter la chambre. Je m'étais à nouveau vêtu de sorte à passer incognito et nous étions sortis.
La ville était belle, bien que bruyante, car les activités de la journée avaient déjà repris leur cours. Les habitants se rendaient sur leur lieu de travail alors que les touristes se pressaient devant les bus et les commerçants étaient affairés à ouvrir leur magasin. Quant à nous, nous avions plusieurs kilomètres à effectuer à pied pour arriver à destination. Sans perdre de temps, nous nous prîmes par la main et commençâmes à marcher. Je choisis l'itinéraire afin de faire le trajet le plus court possible. Nous avançâmes sans que rien ne vienne nous distraire de notre objectif, nous faufilant à travers la circulation et les gens sans les voir.
Nous n'avions tous deux aucune difficulté à réaliser un effort physique soutenu, en rien gênés par la fraîcheur matinale et la distance à parcourir, et personne n'aurait pu se douter un seul instant que nous avions marché plusieurs kilomètres quand nous arrivâmes aux abords de mon ancien quartier.
Plus nous approchions, plus les battements de mon cœur s'accéléraient et plus je serrais la main de Noah. Je voyais apparaître devant mes yeux ces bâtiments si familiers ainsi que tous les endroits que j'avais fréquentés si souvent et malgré moi je ralentis le pas. Je reconnaissais certains commerçants et habitants du quartier et espérais que sous mon déguisement il n'en serait pas de même pour eux.
Il ne restait plus qu'une rue qui nous séparait de l'appartement de mon père. Ma nervosité était à son comble et j'étais bien contente de ne pas être seule en cet instant. Et puis soudain, au détour d'un immeuble, sur le trottoir d'en face, je le vis ! Je crus d'abord à une illusion, tant cela me parut irréel. Il était juste là, mon père adoré... Il discutait tranquillement avec... avec.... sa fille ! Il souriait tout en écoutant la jeune femme qui gesticulait devant lui. Je m'arrêtai net d'avancer, et si je n'avais pas tenu fermement la main de Noah dans la mienne, c'est à ce moment-là que je me serais effondrée! Noah comprit d'emblée la situation.
À part nous, personne ne pouvait se rendre compte de ce qui était en train de se passer devant nos yeux. Mon esprit se retrouva complètement absorbé par ce que je regardais et je pus entendre leur conversation au-dessus des bruits de la rue comme si j'avais été auprès d'eux. Ils parlaient de vacances, de leurs futures vacances ! Je n'étais désormais plus concernée par ce genre de décision...
Même en ayant tenté d'imaginer plus d'une fois ces derniers jours comment cet instant allait se dérouler, je n'aurais pu me préparer au choc que j'éprouvai. En dehors du traumatisme que cela pouvait représenter de se retrouver face à son double, je voyais de mes propres yeux que la vie de mon père n'avait effectivement pas changée, que sa fille était bel et bien rentrée de son voyage et qu'ils s'étaient retrouvés.... Il était heureux et je ne faisais dorénavant plus partie de sa vie... Il ne connaissait pas mon existence et ne la connaitrait jamais.... Je faisais à présent partie d'un tout autre monde, un monde différent, un monde à part.
La douleur de cette constatation m'enserra la poitrine et j'en eus le souffle coupé. Je titubai légèrement comme si l'on venait de m'asséner un violent coup au niveau du ventre. Noah me soutint aussitôt, inquiet. J'avais envie de pleurer toutes les larmes de mon corps, mais j'étais trop sonnée. La souffrance que je ressentais me rappela celle que j'avais éprouvée au décès de ma mère des années auparavant, à la différence près que je savais que mon père était toujours en vie. Paradoxalement, cela rendait la situation encore plus difficile.
Je me retrouvai incapable de bouger et continuai de fixer le spectacle de ces deux individus si familiers qui conversaient devant moi.
Comment avais-je pu croire un seul instant que venir ici ne serait qu'une formalité ? À présent que j'étais là, j'aurais tout donné pour ne jamais être venue et m'être contentée du souvenir de mon père plutôt que ça...
Le plus fou c'est que j'étais si perturbée et obnubilée par ce qui se déroulait devant moi que je ne sentis pas tout de suite leurs présences, là à quelques pas de mon père et de mon double qui à présent disparaissaient derrière la porte de l'immeuble. Mon regard se fixa alors sur eux. Comment avais-je fait pour ne pas les sentir approcher ! La peur m'envahissait alors que la réalité me frappait de plein fouet en me faisant l'effet d'une gifle. Et ce fut probablement ce dont j'avais besoin pour reprendre pied.
Ils étaient là, à nous regarder fixement. Ils savaient qui nous étions comme je savais qui ils étaient. Ils étaient deux, vêtus de costumes sombres, leurs yeux dissimulés derrière des lunettes noires. Je jetai un coup d'œil à Noah et me demandai, désespérée, pourquoi nous étions là ! J'entendais les paroles de Frank dans ma tête qui me disait que venir ici me causerait des souffrances inutiles et que cela ne vaudrait pas le danger encouru, mais il était trop tard...
À présent, il ne nous restait plus qu'à fuir, à fuir le plus rapidement possible !
Je pressai la main de Noah et lui dis dans un souffle.
- Ils sont là.
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Tout a changé ce jour là!
RomanceEmma a encore de la peine à croire au changement radical de sa vie, à son "changement". Elle a dû tout laisser derrière elle sans pouvoir le décider. Oui, mais à présent elle l'a, lui! Malgré tout elle va avoir besoin de dire au revoir à son passé p...