Acte III, scène 2

568 140 32
                                    

Noir, c'est simplement parce que les flammes de bougies n'ont pas résisté aux vents.

Comment auraient-elles pu ?

La tempête est rentrée, les a frappés avec violence. Dans un réflexe de survie, sans le moindre mot, tous les trois ont tenu bon. Ils se sont précipités pour pousser la porte à se refermer.

La tempête a des mains de géant qui voudrait entrer dans une cage minuscule. Ils luttent, appuient leurs épaules contre la vitre, poussent de toutes leurs forces. Tout semble sur le point de se briser.

Hoseok pousse un cri comme pour se donner du courage. Il entend Jin et Jungkook y répondre à leur tour. Tout siffle, vibre, et frappe, l'entièreté du salon est secouée comme s'il se trouvait dans le tambour d'une machine à laver.

Ils referment le battant à bout de force. Le silence les englobe, leurs oreilles sifflent. La tempête se tait et Jungkook vérifie que la poignée est bien scellée.

Ils sont trempés, ébouriffés, éreintés, essorés par ce qui vient de se passer.

—  On a avait mal refermé je crois, mais là ça ira.... J'espère...

— Rallumons les bougies, incite Hoseok en essuyant son visage d'un revers de manche. Jungkook, va chercher des serviettes...

Ils sont gelés, et l'air est humide. L'intérieur a changé. Il y a eu l'avant et l'après tempête au sein de la pièce.

— Oh non mes cartons...

Jungkook se précipite sur son amoncellement favori tandis que son aîné cherche les allumettes, se rappelant qu'il fallait un briquet. Jin n'a pas bougé de sa place, l'épaule collée à la porte-fenêtre. Sous la lumière grisâtre, il a l'air mélancolique, ainsi.

— C'est dingue...

— Aide-moi à rallumer les bougies, s'il te plaît, insiste Hoseok dont les lèvres tremblent de froid.

La tempête a enterré la hache de guerre.

Pour le moment en tout cas.

— Tu as vu, souffle l'invité, y a quelqu'un en bas de l'immeuble

Hoseok fronce les sourcils et revient sur ses pas. Il a presque peur d'approcher de la porte-fenêtre de crainte que la fermeture ne lâche à nouveau et qu'elle ne le frappe violemment. Les joints tiennent bon.

Pour le moment en tout cas.

Il se penche à son tour, le nez collé à la vitre glacée. Dehors, sous la furie du vent et de la pluie, une silhouette humaine tente de vaincre par elle-même la nature tout entière.

— Mais il est taré...

— Il va se tuer, surenchérit Jin.

Jungkook les rejoint et tous les trois, curieux, ont l'air ridicules comme ça le nez collé à la fenêtre, tels des gamins qui font des grimaces à l'arrière des voitures.

— Oh putain sa mère !

— Langage ! scande Hoseok par réflexe.

— C'est lui ! Je crois que c'est lui, il faut que je vérifie ! s'écrie le plus jeune. Poussez-vous, j'ouvre la porte !

Jin et Hoseok s'entre-regardent sans comprendre ? Ouvrir ? La porte vitrée ?

Ils se précipitent in-extremis sur Jungkook qui abaisse la poignée. Ils ont lutté contre la tempête, ce n'est pas pour revenir tout bâcler.

— Laissez-moi aller dehors, il faut que je vérifie !

— Non mais t'es complètement malade ! Tu veux nous tuer ?

Mais déjà Jungkook a réussi à créer une faille et la tempête s'engouffre à nouveau comme un torrent qui détruit un barrage. Hoseok crie mais de folie cette fois, Jungkook se précipite sur le balcon, tout son corps manque de se plier, de se renverser, jeté par-dessus le vide. Il crie, il tente d'appeler en vain l'inconnu dehors. Le bruit est noyé par la déflagration de tonnerre, le grondement du ciel. Hoseok se précipite pour rattraper son colocataire alors que la main de Jin lui retient le bras.

Jungkook pivote, semblr revenir sur ses pas, criant quelque chose entre l'extase et la joie même si son visage est balayé, giflé jusqu'à déformer les traits.

Soudain, il glisse et sa chute est catastrophique. Hoseok pousse un hurlement, se précipite pour le rattraper. Jin lui vient en aide et à deux ils aident le plus jeune à se redresser, à ne pas basculer de l'autre côté. Précipitamment, chaotiquement, ils retournent dans le salon complètement sens dessus dessous et s'empressent de fermer la porte.

Il leur faut toute leur force et toute leur volonté pour y arriver. C'est essoufflés, épuisés qu'ils tombent contre le sol. Le salon est ravagé, Thérèsa a repris ses crises d'épilepsie avant de s'éteindre comme dans un dernier souffle.

Alors qu'Hoseok cherche l'air, tente de se relever, son corps grince de douleur, de courbatures et de froid, Jin hurle :

— C'était complètement cinglé ! Mais qu'est-ce qui t'a pris, bon sang ?

Jungkook, n'écoute pas, il a le visage souriant et se tourne vers son aîné, ignorant l'invité :

— C'est lui, Hobi. C'est lui qui arrive. Je le sais, j'en suis sûr. Je vais le chercher !

Hoseok se redresse, gauche sur ses jambes tremblotantes, les sourcils froncés :

— Tu as mal vu...il était loin et c'est la tempête...

— J'ai très bien, vu, je sais que c'est lui, j'ai reconnu l'uniforme. Il faut l'aider ! Il n'arrivera jamais ici sans nous !

— Attendez, vous n'êtes quand même pas en train de me dire que vous allez sortir de l'appartement pour aller chercher la personne dehors ? Mais vous êtes malades ou quoi ?

Jungkook ne le regarde pas, ne l'écoute pas, il reste fixé sur son aîné comme s'il attendait son aval. Jin n'aime pas ça parce que, mine de rien, même si ça ne fait que quelques heures qu'il est là, il n'aime pas se sentir exclu.

— Non, bafouille Hoseok en frissonnant, non on ne descend pas...

Jungkook bougonne :

— Très bien, j'irai seul.

Théâtralement - c'est le cas de la dire- mais surtout avec cette expression dramatique que le plus jeune se donne quand il est vexé, il se lève et part. Traverse le salon comme un roi, arrive au couloir, ouvre la porte d'entrée en grand.

Et puisqu'on n'est pas à quelques milligrammes près de dramatisation, Hoseok se surprend à tendre la main, à crier pour le retenir.

C'est comme s'il disait au revoir à un soldat qui s'en va en guerre, à un pêcheur qui part sur une mer déchaînée.

-—Jin est impuissant, le visage bloqué entre une grimace de rejet et d'incompréhension.

— Je savais que tu ne m'avais jamais cru de toute façon, clame Jungkook d'un ton acide.

— Bien sûr que je te crois, mais ce n'est pas lui, ne descend pas le chercher ! Tu vas y laisser la peau !

— Alors viens avec moi !

Mais Hoseok ne peut pas.

Parce qu'Hoseok a peur.

Son cœur tambourine à la chamade, il sent chaque goutte d'eau sur sa peau comme de la soude qui ronge son épiderme.

Il flippe.

Parce que la tempête déchire le ciel, rend sa place au silence, au réel, au chaos. À la fin du monde. Parce que dehors, pendant un instant, il a cru non seulement qu'il allait perdre Jungkook mais qu'il allait se tuer.

La tempête rappelle que la vie ne tient à pas grand-chose. Alors il se sent soudain vivant, comme si savourer chaque instant rééquilibrait la balance, lui donnait une raison de se battre.

Jungkook s'éloigne, sans se retourner, claque la porte d'entrée et disparaît dans l'ombre.

La TempêteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant