Le rituel

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Les faits qui vont suivre sont inspirés de faits réels rapportés et romancés mais dont certains témoignages ont vraiment existé.

   Quand je suis rentrée au collège La justice, je ne connaissais que Mathilde ma meilleure amie depuis toujours. En fait, on se connaissait depuis tellement longtemps que je ne me rappelle même pas du moment où nous ne nous connaissions pas. A ce moment, je faisais encore confiance aux gens. J'ignorais que l'établissement portait si mal son nom. J'avais peur d'arriver dans un nouvel établissement mais la professeur principal était sympa. Elle s'appelait madame Gil, une petite bonne femme avec l'accent du sud qui jurait par des "noms de Zeus" dès qu'une situation l'énervait. Ce qui dédramatisait les choses mais marquait le coup tout de même. "Nom de Zeus !" dit-elle une fois sur un ton aiguë, en rendant les copies. Il s'agissait de ma copie. J'ai dû devenir toute rouge, je sentais mes joues cuir. Qu'est-ce que j'avais fait ou pas fait ? Elle avait lu ma rédaction devant toute la classe en disant que c'était vraiment bien ! C'est ce genre de détails qui m'avait fait aimer l'école. On m'avait donné de la valeur, j'étais prête à en donner à cet établissement, aux professeurs et à la classe. Oui, là, je faisais confiance, en même temps, j'avais tout juste 10 ans, je n'avais jamais vraiment connu de problèmes. Je ne pouvais pas dire que j'avais eu une enfance malheureuse. J'étais aussi très naïve, je croyais tout ce qu'on me disait. Je ne soupçonnais pas que les siestes à répétition de mon père à 18h quand il rentrait du travail était une mise en scène de ma mère pour cacher l'alcoolisme de mon père. Les examens de santé qui révélèrent à ma mère une tumeur maligne sur l'épiderme n'était pas le genre de discussion qu'on abordait à table. Bien sûr on me cachait ce genre de détails et je comprends qu'on m'ait caché cela. Les enfants ne devraient pas à vivre ça mais finalement, toutes ces cachotteries m'ont semblé être des mensonges. "Des vérités déguisées" ? Des foutaises.

   Pour revenir à ce premier trimestre et à cette période d'insouciance qui me revient par bribes, il se passa pour le mieux et le duo que nous formions avec Mathilde devint vite un trio avec Hélène. Hélène dessinait super bien, elle avait un sens de l'humour incroyable, complètement décalé, sûre d'elle quand elle disait quelque chose. Son excès de confiance m'inspirait, moi qui doutais de tout, tout le temps. Mathilde était du genre sportive, contrairement à moi et petit à petit, sans le vouloir, mon goût pour la lecture et l'écriture me rapprocha plus d'Hélène, avec qui je partageai l'envie d'inventer des histoires. Le jour, où Hélène m'avait montré ses dessins, j'étais stupéfaite, elle m'avait dit s'être inspirée de mes histoires. Ca avait créé un lien très fort. Je lui étais très reconnaissante et cela a crée une complicité qui a écarté Mathilde. Le sport, c'était pas notre truc. Mathilde s'emportait parfois parce que, prises dans notre imagination, nous nous dépêchions d'aller au CDI pour voir les nouveaux dessins et je lui montrais les nouveaux scénarios. On oubliait Mathilde qui nous le reprochait amèrement. Au début, on ne faisait pas exprès mais si c'était pour l'entendre nous dire qu'on était des bouffonnes, on n'était pas prêtes de l'attendre une nouvelle fois. Malgré ces disputes, on se retrouvait aux anniversaires, lors des sorties scolaires et on oubliait tout. Plus de rancunes, complices comme toujours.

    Et puis les années ont passé au collège la Justice, nous n'étions plus les "gamines" de sixième. On voyait bien que le regard des garçons étaient différents. Enfin je voyais bien comment ils regardaient Mathilde qui avait grandi d'un coup, son corps tout menu quand je la connaissais était devenu athlétique. J'entendais bien les garçons de la classe dire d'elle comment elle était bien foutue. J'étais même d'accord avec eux. Mais pourquoi cette chrysalide qu'est l'adolescence nous transforme pas tous et toutes de la même façon, et au même moment ? J'avais toujours cette stature infantile. A côté d'elle, je me sentais laide, immature avec mes livres sous le bras. Ma préoccupation était toujours d'imaginer des histoires de fantômes et de vampires, pas de trouver un nouveau soutien gorge qui ferait rougir les garçons. Pour cela, il aurait fallu que j'ai quelque chose à soutenir. Le regard d'Hélène changea aussi, c'était moi qu'on attendait plus à la sortie des cours. Hélène aussi avait changé et ses yeux de chatte malicieuse avait un charme fou. Nous étions toujours ensemble tout de même, mais quelque chose a changé à ce moment. Dans mon imaginaire, les fées sont devenus des sorcières, les princes des sorciers, les créatures féeriques comme le chat botté ou la petite sirène sont devenus les loups Garous et les vampires. Pour dissimuler cette féminité invisible, je mettais des vêtements larges, je m'habillais en noire et j'adoptais ce style qu'on appelle "gothique" pas par goût mais par évidence car la vie était pleine de mystères et j'étais fascinée par l'ésotérisme, les cabales et autres sociétés secrètes. Je dessinais des pentagrammes et imaginais des formules magiques pour maudire ou bénir ceux qui m'entouraient. Je croyais aux forces de l'esprit et même si en vrai j'en étais dénuée, je les invoquais avec une ferveur naïve. Un jour, Hélène tomba sur une de mes rédactions couvertes du chiffre maudit 666, d'une croix renversée et des psaumes sataniques. "Trop bien !" m'avait-elle dit, c'est le "Number of the beast" m'avait-elle dit. Son accent n'était pas au point et j'ai eu le tort de la faire répéter. Là, elle me prit de haut, mais tu sais : "le chiffre de la bête ! Oui en français, ça claque moins, mais c'est la chanson d'Iron Maiden" "De qui ?" dis-je. "C'est un vieux groupe de rock des années 80, c'est mon père qui écoutait." "Je te ferais découvrir si tu veux."

Terreurs nocturnesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant