Le Train

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               Les paysages défilaient à toute allure derrière la fenêtre du train. Les arbres n'étaient qu'un magnifique camaïeux de couleurs opaques confondant la terre, les arbres et le ciel donnant une impression de vertige impressionniste impressionnant le spectateur de cette pièce de théâtre regorgeant d'une vie dont il se sentait déconnecté. Sous ses yeux fatigués, William portait les bagages d'insomnies à répétition et de nuits aussi blanches que les feuilles étalées devant lui. Insensé, le temps jouait de lui depuis de trop nombreuses semaines et s'il fallait donner une date précise, l'auteur en serait incapable. Il avait simplement pris un billet de train vers une destination inconnue, partant en quête d'une inspiration certaine et, sans se l'avouer, en quête de lui-même. Les mots restaient bloqués au bout de ses doigts, au bout de sa plume qu'il tentait d'agiter, en vain, sur le papier blanchi de son carnet abîmé. Bien qu'il le prenait partout avec lui, il avait été incapable d'y confier ses idées puisqu'elles se résumaient à un nombre nul. En réalité, il se moquait bien d'où il finissait une fois que les portes s'ouvraient tant qu'il était parvenu à glisser quelques-uns de ses secrets dans l'intimité de ses écrits.

Cependant, il n'y avait aucune étincelle de génie derrière ses yeux noisettes. Seulement un flou bien loin de l'artistique l'entrainant dans un désespoir qu'il espérait couler sous la tasse de café qui se tenait à côté de lui, en équilibre précaire sur les tables instables de son wagon. Le liquide sombre jou ait à renverser quelques gouttes hors de son contenant, espérant attirer l'attention de l'écrivain en panne, mais rien n'y faisait. William avait les yeux rivés hors du train, scellés sur un paysage dans lequel, jamais, il ne se fondrait. Derrière les fenêtres de son âme, seules des pensées obscures venaient se fracasser contre les berges de sa psyché et emportaient, avec elles, le peu de lui qui restait. Il subistait, en sa personne, une rage de vivre qu'il s'ignorait avoir. Néanmoins, elle restait fragile quand elle faisait face à l'étendue des champs de guerre qui s'étendaient à perte de vue dans chaque recoin de cette tête que l'écrivain n'arrivait plus à cacher avec quelques sourires contris et une dose impeccable de déni. S'il ne voulait pas forcément mettre fin à ses jours, il était impossible d'ignorer le fait qu'il se voulait éteint. Tout comme le train dans lequel il se trouvait, la vie battait son plein et continuait sa course à vive allure. Alors, il lui était impossible de vivre. Il ne profitait de rien et participait activement au fonctionnement d'un monde dont il ne comprenait plus les codes. Il avait pensé les maîtriser lorsqu'il était plus jeune, se dressant fièrement au milieu de la foule et revendiquant ses différences. Aujourd'hui, il baissait la tête et cachait ce cœur d'encre qu'il pleurait lorsque la lune prenait son tour de garde. Geôlière argentée se targuant de le maintenir prisonnier, elle reflétait en son sein, les fantasmes et les songes d'une autre vie. Passant d'acteur à simple spectateur, William était désormais assis sur les bancs de touche tandis que d'autres jouaient son existence. Ils faisaient des choix qui ne les impactaient jamais, laissant à l'auteur la responsabilité d'en assumer les conséquences. IIs faisaient des actions qu'ils s'excusaient d'entreprendre, puis il donnait à l'écrivain la lourde charge de les conclure. S'il avait été possible d'en reprendre le contrôle à un moment, il semblait que tout soit hors de sa portée désormais.

William aurait aimé vivre, il devait s'avouer qu'il ne faisait que survivre.

Le reste du wagon était plongé dans le silence.

Seuls quelques voyageurs avaient pris place, se perdant eux-mêmes dans le cocon de leurs pensées, accompagnés par les écrans de leur téléphone ou par la musique qu'ils jouaient en boucle dans leurs écouteurs. On entendait, en réalité, que le bruit des respirations enrhumées par l'hiver et les ventilations d'un train trop vieux pour voyager. Un couple se tenait la main, mais ne se regardait pas. L'un jouait avec son portable pendant que l'autre cherchait son regard ; vivant lui-même sa propre tragédie. Une femme âgée, la main encore fermement accrochée à sa canne, regardait aller le paysage en pensant aux années folles de sa jeunesse, sûrement trop occupée à voir le passé pour ouvrir les yeux sur son présent. Deux amies s'étaient endormies, revivant, dans leurs rêves, le concert dont elles revenaient. Un homme d'une quarantaine d'années s'était plongé dans un livre, espérant attirer l'attention de la jeune femme en face de lui sur la nourriture intellectuelle avec laquelle il bourrait son crâne. Quant à sa voisine, elle était elle-même concentrée sur un recueil de poésie qu'elle dévorait avec la passion juvénile d'un premier amour. Il s'agissait, là, de sa première passion, de ce qui la faisait vibrer. Elle se moquait de son admirateur indiscret et préférait découvrir Baudelaire et ses secrets. Tous plongés dans leur tête, tous ensemble et pourtant si éloignés. William détourna le regard de la fenêtre pour leur jeter un oeil, s'accrochant sur chaque visage sans jamais s'y arrêter. Jusque là, personne ne semblait se rendre compte qu'il existait. Il aurait pu s'en contenter, si son ego ne souhaitait pas marquer les esprits de ceux qu'il rencontrait. Il fut tenter de tousser, pour espérer arracher quelques froncements de sourcil, une mimique, une attitude, une miette de ce qui leur restait à partager. Il ne le fit pas. Tousser ne le ferait pas devenir quelqu'un. Tout au mieux, il serait oublier. Ne valait-il pas mieux, alors, ne jamais exister ?

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