18 : Connectées (1)

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Je marchais vite, j'avais envie de rentrer chez moi. Je n'avais pas dormi depuis près d'une journée, j'avais failli me faire attraper par la police, et je venais de me faire une alliée avec des intensions que je ne parvenais pas encore à saisir. Mais le trop plein de pensée qui ensevelissait progressivement mon cerveau était constitué des paroles du président, qui résonnaient dans ma tête, confrontées à celles de Torielle.

On nous mentait, à tous. Et Domoto n'était pas le seul. On nous enfermait dans une logique de terreur sans que personne ne puisse s'en apercevoir. Nous étions confinés dans notre propre ignorance, dans notre propre île. Vouloir s'y opposer, en sortir enfin, était signe de condamnation obligatoire.

J'avais entraîné Bellamy là dedans. Je devais lui en parler.

Ma tête tournait. Mes pieds s'emmêlaient, je ne marchais plus droit.

"Tout va bien mademoiselle ?"

J'hochais la tête. Le passant poursuivit sa route. Quelqu'un d'autre me parla mais je ne comprenais rien. J'essayais de le dévisager, son visage m'apparaissait comme un tâche mouvante. Tout était flou, le sol penchait, les lignes se croisaient.

Je me décidai à prendre la rue sur ma gauche. Entraînée par le poids de mon corps, je m'affalai, dos contre le mur d'une maison.

Respirer. Je devais reprendre mes esprits. Ce n'était pas le moment de perdre connaissance.

Des flash passaient inlassablement sur ma rétine. Une masse bleutée qui m'engloutissait, s'entourait autour de mes membres sans que je puisse en sentir la consistance. Elle m'appelait à elle. Son pouvoir se répercutait dans les veines. Je le sentais de nouveau.

J'avais du mal à respirer. L'impression de brûler intérieurement ne me quittait pas. J'aurais voulu hurler, mais j'avais de nouveau le sentiment d'être détachée de mon corps. Que mon esprit ne m'appartenait plus.

Je me revoyais, en train de me débattre au milieu du Cœur. Des milliers de petits éclairs rouges parcourant ma peau, remontant mes bras, mon cou, mes joues pour s'infiltrer jusqu'à la lisière de mes cheveux et disparaître en dessous.

Qu'est ce qui m'arrivait encore ?

Si seulement Lara avait une réponse.

- Lara aide moi, articulai-je dans un cri plaintif.

Elle essayait de me parler, mais je n'entendais rien. Un brouhaha avait pris place dans mon esprit. Comme des centaines, ou plutôt des milliers de personnes en train de crier, de rire, de discuter, de pleurer. Tout ceci se mélangeait en un bruit ignoble qui me frappait les tympans comme une masse, un orchestre infernal qui se répétait, s'intensifiait, et que j'étais la seule à entendre. Comme si tous les habitants d'Algore étaient en train de me parler. Ou même leurs hôtes, que j'entendais à travers toute l'île.

Stop !

Je voulais juste que tout s'arrête.

Reprends toi !

Ce n'était pas Lara qui parlait.

Relève toi !

J'obéis. Je poussais sur mes jambes, je me forçais à ouvrir les yeux. Je retrouvais la lumière de l'avenue. Mes battements de cœur ralentirent. Je tentais de retrouver mon calme, me promettant de cesser de me torturer l'esprit au lieu d'agir.

La réalité était dure, mais il fallait l'affronter, et arrêter de se morfondre. Les bruits avaient disparu sans que je m'en rende compte, et les vertiges aussi.

Je repris ma route, d'un pas mal assuré.

- Tu les a entendus ?

Lara ne me répondait pas. Elle devait se remettre plus lentement que moi.

- Oui. J'ai étendu tous les hôtes parler à leur pilier. Ils étaient tous là, tous en train de leur donner des conseils. De pleurer avec leurs humains. De rire avec eux.

- Tu crois que c'est à cause...de...du fait que nous soyons tombées dans le Cœur ?

Je fronçai les sourcils, contrariée.

- Nous serions connectées à tous les hôtes d'Algore ?

- Ce serait...

Notre discussion fut rapidement écourtée par un corps qui venait de me rentrer dedans avec force. Ses réflexes étaient plutôt bons néanmoins. Il passa son bras dans mon dos avant que je ne perde l'équilibre. Les idées confuses, je le reconnus cependant instantanément.

Eliott. Le fils de substitution que ma mère n'avait plus. Je soupirais intérieurement d'être tombée sur lui.

- Faites attention où vous allez.

J'arquai un sourcil :

- Qui vous dit que c'était moi qui ne faisait pas attention ?

Il sourit. Encore.

- Nous sommes tous les deux fautifs alors.

Il décolla son bras de mon dos courbé vers arrière.

- Désolée, je suis pressée.

Je le contournai précipitamment pour pouvoir me libérer de son emprise le plus rapidement possible.

- Ravi de vous avoir revue aussi, lança-t-il sur un ton ironique avant que je ne m'éloigne.

Je n'étais vraiment pas d'humeur.

- Bonne journée, grommelai-je en retour, sans jeter un regard en arrière.

- Un dîner samedi, au Nuage d'Argent ? Ça vous tente ?

Je ne savais toujours pas pourquoi, mais la tête dans les épaules, je m'arrêtai, et me retournai pour lancer :

- D'accord.

L'ANTI-HÔTE [Partie 1] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant