Fournaise, Livia Llewellyn, 2021

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Sang, tératologie, démembrement, viol, pourriture, énucléation et supplices ; persistance de rites anciens et sataniques, régression de la faculté d'empathie, et démons inaccessibles à la cruauté même dont les sévices sont situés sur un plan éloigné de toute considération du mal ; décor-intervalle entre irréel et fantasmagorie, société-prison d'une indécidable obscurité future, faille temporelle répétitive démentiellement invoquée comme boucle aliénante, et entre-deux-dimensions sis en un axe normalité et apocalypse dont la seconde, latente et inéluctable, tend à marquer sa présence progressive ; surrection du domaine du cauchemar insensibilisant et flou, et éternité de perpétuités fatidiques et régénérescentes, résolues ou résignées, où les souffrances et les cris contemplés sont plutôt des échos imaginaires que vécus, où ce qui suppose un contact au monde est comme refoulé en cerveau reptilien, loin des esthésies ordinaires, égaré et remonté en soi dans le territoire sismique et profond de la pathologie ou de la névrose, de la provocation ou du tabou.

C'est cette couleur qui caractérise Fournaise, une sorte de sanie noire et sanglante, faite pour le dégoût et la fascination, qu'il faut imaginer née d'une intention maléfique et symbolisant la décadence, environ ce qu'en médecine on appelle : méléna.

Ce sont donc ici des nouvelles typiquement pittoresques, une fois de plus, récits conçus sans élaboration particulière, je veux dire sans ambition de préparation de chefs d'œuvre, avec la « modestie » caractéristique de notre époque, à partir d'une seule courte idée, et que l'auteur, selon son inspiration, abonde de représentations adventices, qu'il corrige d'improvisations qui lui font plaisir ou le troublent lors de la composition, sans presque jamais décider vraiment d'un dénouement ni même d'une intrigue. Ce sont certes des visions, comme émanées d'une sibylle, où la tâche de l'écrivain consiste à rendre l'intensité la plus choquante et décalée de l'angoisse et de la folie, selon des idiosyncrasies envoûtantes et des styles contournés, mais – et c'est trop manifeste – sans élaboration préalable, sans volonté créatrice de tableau supérieur, au point que non seulement on n'y trouve à peu près jamais de chute mais qu'on ignore souvent comment se représenter la fin – l'auteur sans doute ne s'en forme elle-même qu'hypothèses et s'en satisfait, jugeant cet effet d'indécidabilité le plus propre à seoir à n'importe lequel de ses lecteurs, à ses lecteurs variés et qui se formeront l'interprétation qu'ils voudront.

C'est une lâcheté, bien sûr, une facilité. En général, Clive Barker, qu'on distingue sans mal dans cet ouvrage et que Llewellyn cite évidemment parmi ses sources, au moins rédigeait des chutes, si ma mémoire de Livre de sang est juste. Llewellyn ose même prétendre, dans une interview qu'on peut lire en fin d'ouvrage, que l'indétermination serait gage de succès : « J'ai constaté que le mystère était un élément essentiel et fascinant de l'épouvante – on en a besoin jusqu'à un certain point. Soyons honnêtes : ce qui se passe en général dans un récit d'épouvante n'a pas grand rapport en général avec les événements de la vie réelle ; si on s'essaie aux explications scientifiques factuelles, logiques, on affaiblit le sentiment d'épouvante. Le manque d'information est donc, je crois, un facteur clef dans la création d'un récit d'épouvante plausible. » Or, c'est arguer avec opportunisme et mauvaise foi du bénéfice d'un handicap dont l'écrivain n'a point l'envie de guérir parce que cette sorte d'active convalescence lui réclamerait un travail trop sérieux et difficile – en quoi on peut aimer parler de la douleur et n'avoir pas du tout le désir d'avoir mal. C'est ainsi que parmi les auteurs qu'elle cite, Llewellyn oublie King, Bradbury, et surtout Lovecraft dont on perçoit bien la présence en filigrane – ce dernier surtout –, présence plus dominante, plus influente, plus foncièrement maîtresse que celle de Barker qui n'est qu'une superficie de nature thématique, mais qu'il vaut peut-être mieux, en effet, ne pas convoquer explicitement par crainte de contredire de leur patte fort minutieuse et cependant épouvantable ce manifeste assez simpliste et faussement conforté d'évidence. Il est navrant, je trouve, quand un professionnel parle de son métier, notamment un artiste, de le sentir aventurer sans soin des théories malaisées qu'il faudrait corriger ensuite, voire totalement contredire, si le journaliste exigeait rien qu'un approfondissement – par exemple, le propre du fantastique de sa naissance au XIXe siècle (j'ignore ce qu'on entend au juste par « épouvante ») est bel et bien la plongée d'un lecteur dans une situation qui se rapporte à un événement de la vie réelle, c'est même à vrai dire LE élément définitoire de ce genre depuis Poe, et je n'entends pas comment Llewellyn, même s'agissant d'épouvante, peut s'opposer à une telle assertion en improvisant là sa petite contribution hasardée, sachant que c'est rarement qu'elle ne s'efforce pas au préalable de placer ses personnages dans un contexte reconnaissable et vraisemblable, pour ne pas dire familier (où il faut toujours se méfier en rhétorique de ces « Soyons honnêtes » qui servent le plus souvent à forcer par sympathie l'acceptation d'une erreur).

Chroniques wariennes (mes critiques littéraires)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant