UNKNOWN : LE STALKER [SOUS CONTRAT CHEZ BLACK INK]

CHAPITRE 47 - DELKO

Je n'étais pas préparé à ce que ce soit aujourd'hui : un samedi après-midi, quelques jours avant Thanksgiving.

Je ne m'étais pas préparé à revoir ce visage ; celui de tous mes malheurs, de tous mes cauchemars, le coupable de tous mes maux, responsable de ma tourmente, destructeur de toute une vie.

Je n'étais pas préparé.

Mais est-ce qu'on peut vraiment être prêt à faire face à un meurtrier ?

Au meurtrier de sa sœur ? De son meilleur ami ? De soi-même ?

Je pensais pouvoir être prêt. Je pensais en être capable, mais le revoir me fait plus de mal que je ne l'aurais cru. Il ravive des souvenirs trop douloureux, fait réapparaître des visages et des événements que je souhaiterais oublier. Il me rappelle des odeurs étouffantes, des sensations désagréables... Pourtant, je n'ai jamais été aussi heureux qu'en cet instant. Heureux de voir une tâche s'accomplir, comme une étape qu'on coche sur sa liste, une avancée qu'on effectue, une page qu'on tourne.

Je ne savais même pas qu'il était possible d'être à la fois brisé et euphorique.

Bonne fille.

Tu vois, que ce n'était pas si compliqué...

Il n'est plus une photo que je fixe avec toute la haine du monde. Il est bien là, et je l'observe prendre place auprès de Skylar, légèrement nerveux, dans un petit café de North States Street.

Je suis tétanisé. Je voudrais traverser la rue à grandes enjambées et foncer sur ce minable, vieux et fatigué. Je voudrais le briser tout entier, éclater ses os, un à un, l'étrangler à mains nues jusqu'à ce que sa peau vire au bleu violacé, lui faire ce qu'il nous a fait et le regarder sombrer dans la mort, droit dans les yeux, sans jamais appeler les secours.

Je voudrais lui enlever un proche.

Je la lui prendrai, elle.

Je veux le voir agoniser, pleurer sa perte.

Je déteste les voir ensemble, la voir lui sourire, le voir lui toucher affectueusement la main. Je voudrais que son air ému sur son visage n'existe pas. Je voudrais me jeter sur lui juste pour les séparer.

Mais mes pieds sont comme scellés au sol, pleins d'élans, pourtant. Mais je ne bouge pas. Je n'y arrive pas.

Je suis effrayé, putain.

Je réalise que je ne peux pas lui enlever son père. Pas maintenant. Je comprends que ce moment est précieux.

Pour elle.

Je recule d'un pas.

Je ne le lui enlèverai pas. Pas aujourd'hui, du moins. Pas quand je vois cet air intimidé sur son visage. Pas quand la petite fille qui dormait au fond d'elle réapparaît devant son père. Je lui laisserai du temps. Je la laisserai vivre ses derniers moments, avec lui. Et ensuite, je la prendrai sous ses yeux. Je lui enlèverai sa fille, d'abord, et je le buterai juste après.

Il disparaîtra avec ma haine, ma colère et ma tristesse. J'en garderai les résidus pour honorer la mémoire de ma sœur et de mon meilleur ami. Et pour les partager avec elle.

Ils discutent depuis un bon moment déjà, et je m'étonne moi-même d'être encore là. Je m'étonne de ce sang-froid dont je fais preuve, de ce calme olympien qui m'habite alors que tout ce qui alimente ma haine est réuni sous mes yeux, à un même endroit : Lui.

Et elle avec lui.

Elle sans moi.

Elle qui sourit à un autre.