L'enfant et la mort

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Tremblante, la petite fille se releva lentement. La scène qu'elle venait de vivre s'était gravée en lettres de feu dans son esprit. Son esprit tournait à cent à l'heure, pourtant elle restait immobile, incapable d'accepter ce qui venait de se passer. Enfin, elle se précipita vers les deux corps étendu sur le sol de la pièce.

- Maman ! Papa !

Elle les secoua, sans résultat.

- Réveillez-vous ! S'il vous plaît...

Sa voix devenait désespérée, incertaine.

- S'il vous plaît...

Sans prévenir, elle s'effondra sur le sol rouge de sang. La mort. Elle en avait déjà entendu parler, mais n'avait jamais vraiment réalisé ce que ce terme signifiait. Et même maintenant qu'elle avait la réalité en face des yeux, elle refusait d'admettre. Malgré les corps de ses deux parents couverts de sang étendus par terre. Malgré les plaies béantes qui ouvraient leurs poitrines.

Elle releva doucement la tête en direction de la seule porte de la pièce et murmure :

- Pourquoi Sarah, Pourquoi ?!

À tâtons, elle chercha la main de sa mère et la serra fort, comme si elle avait peur qu'elle disparaisse. Malgré la froideur de celle-ci, elle ne la lâcha pas. Cette main était tout pour elle ; sa mère, son enfance, la preuve qu'elle n'était pas seule...

« Papa et Maman vont bientôt se réveiller. La mort n'existe pas. Tout va rentrer dans l'ordre... Maman m'a dit qu'elle serait toujours là pour moi, qu'elle ne m'abandonnerait jamais. Elle ne peut pas mourir ! Papa ne peut pas mourir ! Ils ne peuvent pas mourir ! C'est impossible. »

Rassurée, la petite fille se blottit entre les corps inanimés de ses parents, persuadée qu'à son réveil tout irait mieux. Le marchand de sable rependit le sommeil bienveillant sur ses paupières et elle ne tarda pas à s'endormir, bercée par l'illusion de l'espoir.


***


Lorsque l'orpheline se réveilla, elle se trouvait dans les bras d'un homme grand et fort. Encore engourdie par le sommeil, elle appela :

- Papa ?

L'homme parut embarrassé et ne répondit pas tout de suite. Il parla ensuite d'une voix extrêmement douce :

- Non, petite. Je ne suis pas ton père.

Il hésita, puis continua :

- Comment t'appelles-tu ?

- Elina. Mais... où est mon papa ? Et ma maman ?

- Ils sont partis pour un très long voyage.

- Sans moi ?

- Oui.

La gamine se renfrogna.

- Vous mentez. Ils ne seraient jamais partis sans moi. Maman m'a promis qu'elle ne m'abandonnerait jamais.

Le policier eut l'air très embêté.

- Dis-moi petite, sais-tu ce qu'est la mort ?

- Oui, Maman m'a expliqué. C'est des gens qui partent en voyage et qui ne reviennent jamais. Mais Papa et Maman ne partiraient jamais sans moi !

L'innocence qui se dégageait de la fillette était si grande que l'homme ne se sentit pas le courage de la contredire.

- D'accord. Appelons ça voyage.

Il resta silencieux quelques instants, comme s'il cherchait soigneusement ses mots, puis repris :

- Dis, il y a quelqu'un qui est venu chez vous, hier, le connaissais-tu ?

- Oui.

- Et qui était-ce ?

- Sarah ! C'était Sarah !, hurla Elina qui pleurait, désormais. Elle... elle a planté un couteau dans le cœur de Maman. Elle m'a crié d'aller me cacher... Papa criait aussi. Il portait Maman dans ses bras... et puis... et puis lui aussi a reçu un couteau en plein cœur... et... ils sont tombés, tous les deux... Sarah m'a regardé longtemps, puis elle est repartie.

L'homme, qui avait posé la petite par terre se baissa pour la prendre dans ses bras. Il la laissa pleurer tout son soûl avant de demander :

- Qui est Sarah ?

Mais la gamine ne pouvait plus rien dire. Elle tremblait, incapable de proférer la moindre parole. Puis, au bout de longues minutes, elle releva la tête et murmura :

- Mes parents sont vraiment partis en voyage, n'est-ce pas ?

- Oui.

Plus qu'une affirmation, c'était une évidence. Mais le policier savait que ce que la tête admet, le cœur ne veut souvent pas en entendre parler. Pourtant, la petite fille qui lui faisait face ne s'effondra pas comme le font les autres enfants, elle ne tenta pas de discuter, ne se mit pas à pleurer. Non, elle regarda l'homme dans les yeux et dit d'une voix forte :

- Très bien. Alors ça veut dire qu'ils vont revenir. Pas tout de suite, bien sûr, mais un jour, ils reviendront et me prendront avec eux.

Son interlocuteur l'observa un instant, puis détourna les yeux. Il ne savait pas quoi dire. La gamine était à la fois si proche et si loin de la réalité... il s'entendit alors murmurer :

- Oui, un jour ils viendront te chercher. Je te le promets.

La fillette se leva et dit :

- Bon, ben alors qui va s'occuper de moi durant leur absence ?


***


C'était un beau jour d'hiver. Comme insensible au froid, une jeune fille marchait dans un épaisse forêt, sans le moindre frisson. Arrivée à une vaste clairière, elle s'arrêta. Un paradis de neige blanche s'étendait autour d'elle. Le souffle du vent semblait s'être tu. Dans cet endroit où le silence était roi, elle s'approcha de l'unique pierre dressé en son centre. Deux noms y étaient gravés, accompagnés d'une petite inscription


Amina et Philos Neweirouh

« Revenez vite me chercher »


La jeune fille leva les yeux et contempla le ciel bleu. Son souffle créait de petits nuages blancs, qui disparaissait presque immédiatement. Haut en dessus d'elle, un oiseau voltigeait.

Alors, brisant le silence, elle murmura doucement :

- Je vous aime.

- Nous aussi, répondit le murmure du vent, nous aussi.



L'enfant et la mortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant