La mort...

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Je ne peux détourner le regard de Mew, inconscient, sur le siège arrière. Son corps est ballotté comme une poupée inanimée. Je vois à peine son visage à travers la combinaison qui le recouvre. Je ne perçois même pas sa respiration. Je serre de toutes mes forces l'appui tête, pour contenir mon angoisse et limiter la souffrance qui me traverse à chaque sursaut de la voiture. Un trou dans la chaussée me secoue. Je lâche un grognement de douleur. Aussitôt, je sens Puifai ralentir.

— Accélère ! ordonné-je, sans même la regarder.

— Mais Gulf...

Accélère !

Elle soupire et appuie sur l'accélérateur. Je serre les mâchoires. Mon bien-être importe peu. La seule pensée qu'il puisse ne pas survivre m'est plus insupportable que ce que je ressens actuellement. Arrivée devant l'allée, Puifai pile et descend rapidement de la voiture. Ma mère sort de la maison aussi vite qu'elle le peut et nous rejoint. Je m'extirpe difficilement de mon siège, mobilisant mes dernières ressources et tente de m'approcher de Puifai qui tire Mew hors de l'habitacle.

— Gulf ! Ne reste pas dans mes pattes ! lance-t-elle, haletante sous l'effort qu'elle fournit pour soulever l'homme inconscient.

Ma mère tente de m'ausculter rapidement, mais je la repousse doucement, les yeux braqués sur Mew.

— Je vais bien... Aide-le, je t'en supplie...

Je me tourne vers elle et l'implore du regard, en prenant ses mains entre les miennes. Elle est mon seul espoir. Elle hoche la tête, visiblement inquiète et se tourne pour suivre Puifai, qui a hissé Mew sur une civière. La douleur de mon corps a disparu, je ne ressens plus rien, à part l'angoisse et le chagrin. Je les suis, à pas chancelants. À peine entrées dans la maison, que les deux femmes s'équipent pour soigner Mew en toute sécurité. Elles enlèvent délicatement la combinaison et commencent à l'ausculter. Pendant que Puifai pose les électrodes pour connecter le moniteur cardiaque, ma mère s'approche.

— Son état est critique. Nous avons un choix à prendre. Je peux lui administrer le traitement, mais...

Je suis suspendu à ces lèvres.

— Mais... ? Dis-moi, maman.

— Les risques sont grands. Il risque une embolie pulmonaire ou un choc septique.

Un poids énorme s'abat sur mes épaules.

— Je suis désolée de t'imposer ça, mon chéri, mais tu es la personne la plus proche de lui.

— Et si nous ne faisons rien ? demandé-je d'une voix chevrotante.

— Vu son état... ses chances sont minces.

Je veux qu'il vive ! Je veux qu'il me revienne. Je ne sais pas quoi faire. Je ferme les yeux face à ce choix impossible.

— Fais-le...

Elle me presse doucement l'épaule et retourne rapidement au chevet de Mew pour lui administrer le traitement. Je me sens tellement impuissant, tellement inutile. Mes jambes flageolantes m'obligent à m'asseoir sur le futon où Mew et moi avons dormi. Je déteste ce corps faible et tremblant qui ne peut même pas venir en aide à l'homme agonisant devant mes yeux. J'attrape le drap entre mes doigts et le serre fortement dans mon poing. Pourquoi la vie s'acharne ? Pourquoi me faire goûter au bonheur et à l'amour, si c'est pour me l'arracher aussi vite.

— Il est en arrêt respiratoire ! J'ai besoin du respirateur !

Puifai s'élance hors de la pièce pour aller chercher l'appareil, pendant que ma mère se positionne au-dessus de Mew pour l'intuber. elle enfonce une sonde dans sa trachée et y clipse un ballonnet, sur lequel elle appuie en cadence. Je tente de me relever pour l'aider, pour être auprès de lui. Il souffre bien plus que moi, je ne veux pas le laisser seul.

Malgré tous mes efforts, je n'arrive pas à m'arracher du futon. Je retombe lourdement sur le matelas à bout de souffle. Puifai revient en courant et branche le respirateur sur la sonde de Mew.

— Je lui pose une perfusion, il faut absolument faire baisser sa fièvre, lance ma mère. Donne-moi quarante milligrammes de morphine.

Elle s'empare d'une aiguille et l'enfonce dans le bras du malade. Puifai sélectionne un flacon et en extrait une partie avec une seringue. Elles se battent pour le sauver. Elles s'activent, courent dans tous les sens pour le garder parmi nous. Mais moi, je ne peux rien faire.

Mes yeux me brûlent, ma poitrine est en feu, mes plaies palpitent douloureusement, je sens mon corps hurler à l'agonie. Mais le sentiment de l'abandonner est bien plus douloureux. Une larme amère quitte ma paupière, suivie par une autre. Le moniteur cardiaque s'emballe subitement et une alarme retentit.

— Arrêt cardiaque ! crie ma mère.

Et c'est mon cœur qui cesse immédiatement de battre. Puifai déchire la chemise de l'homme à l'article de la mort et commence un massage cardiaque énergique. Ma mère se hâte de sortir le défibrillateur et de poser les électrodes sur son thorax.

— Attention ! s'exclame-t-elle.

Puifai relève les mains.

— Choc !

Le corps de Mew se cambre violemment sur la table.

— Mew... je t'en supplie... ne me quitte pas...

Je gémis ma peine et ma souffrance devant la scène insoutenable qui se déroule sous mes yeux. Ma mère pose ses doigts sur sa jugulaire. Le temps se suspend dans l'attente de son verdict.

— Pas de pouls...

Une plainte silencieuse se bloque dans ma gorge. Je supplie, j'implore le ciel de ne pas me l'enlever. Un nouveau choc parcourt son pauvre corps. Les larmes ravagent mon visage, de longs sanglots implorants secouent mon corps.

— Je t'aime, Mew... Je t'aime... pardonne-moi... j'aurais dû te le dire...

Je ferme les paupières, ne pouvant plus supporter la tragédie qui se déroule face à moi. Je me bouche les oreilles. Je ne veux plus rien entendre, je ne veux plus rien voir. Je ne suis plus capable de faire face. Je reste prostré en gémissant sans m'arrêter, aveugle et sourd à ce qui m'entoure :

— Je t'aime, Mew... Je t'aime...

La mort à fleur de peau - MewGulfOù les histoires vivent. Découvrez maintenant