Sous-titre : de l'intérêt de pouvoir mourir tel que nous le souhaitons, et du droit au suicide assisté qui en découle.
Quand et comment voulons-nous mourir ? À cette question, l'immense majorité des individus répondent spontanément qu'ils souhaitent mourir âgés, dans leur sommeil et en bonne santé. Ce que cela signifie, c'est que nous ne voulons souffrir ni dans la vieillesse ni dans la mort : comme à n'importe quel autre moment de la vie finalement ! Cela se comprend aisément. Cependant, ce désir légitime est contrarié par cette injonction quasi morale et quasi palpable selon laquelle nous avons le devoir de vivre le plus longtemps possible, d'affronter la maladie aussi longtemps que nous le pouvons et donc de supporter une certaine quantité de souffrance, consubstantielle à la fin de vie. Vérifiez par vous-mêmes : en France, on a recours aux soins palliatifs lorsqu'on souffre d'une maladie incurable quand dans quelques rares autres pays on peut désormais avoir recours au suicide assisté plutôt que d'attendre passivement la mort, sa mort. Ainsi, d'un côté nous désirons ne pas connaître une fin douloureuse mais de l'autre nous nous efforçons de vivre le plus longtemps possible, quitte à devoir recourir à des traitements antalgiques non-curatifs puissants (et abrutissants) pour pouvoir supporter les douleurs causées par quelque maladie de fin de vie. J'irai même jusqu'à dire que nous nous faisons un devoir moral de mourir de cause(s) naturelle(s), d'attendre que notre corps "lâche", que la maladie le vainque.
Est-ce à la religion que nos sociétés ont emprunté cette idée selon laquelle la vie est sacrée et qu'elle doit être menée jusqu'au bout, c'est-à-dire jusqu'à ce qu'une cause exogène, indépendante de notre volonté y mette un terme ? Sont-ce plutôt la déontologie du médecin et son serment d'Hippocrate qui ont tellement infusé la population qu'ils se sont cristallisés pour devenir de véritables valeurs, des piliers pour notre civilisation ? Je n'en sais rien. Tout ce que je sais, c'est qu'il est encore curieusement mal admis que l'on puisse vouloir mourir avant que n'advienne le jour où notre organisme ne pourra plus assurer les fonctions vitales. Je veux dire : il est encore loin d'aller de soi d'organiser sa propre mort.
Par vouloir organiser sa mort, je veux dire vouloir définir soi-même les paramètres de celle-ci, la programmer en quelque sorte : choisir le moment, le lieu, les circonstances dans lesquelles nous mourrons.
Pourtant, nous organisons tout aujourd'hui : nous avons des agendas, des emplois du temps, pour le travail mais aussi pour notre temps libre (tant celui-ci n'est plus libre...). On organise tout, y compris la grossesse : en ayant recours aux contraceptifs ou bien au contraire aux différentes aides médicales et tierces à la procréation (fécondation in vitro, procréation médicalement assistée et gestation pour autrui, etc.), par exemple. Comprenez bien : pour quelque chose d'aussi "naturel" et "sacré" que l'enfantement (que nous avons du moins tendance à nous représenter comme tel), nous n'admettons plus que la nature fasse obstacle à la maternité / paternité. En effet, nous n'admettons plus que l'infertilité et/ou l'homo-/monoparentalité, par exemple, soient des obstacles indépassables à la procréation. De fait, nous trouvons de plus en plus moral (souhaitable du moins) d'aider celles et ceux qui n'arrivent pas à procréer par iels-mêmes, de leur fournir les moyens nécessaires à la satisfaction de ce désir souvent si profond qu'il s'apparente à un véritable besoin existentiel.
Nos technosciences et notre législation ont donc évolué de telle sorte qu'elles nous permettent désormais de s'affranchir de certains obstacles naturels à la procréation. Et dans la mesure où notre fertilité diminue de plus en plus (à cause des perturbateurs endocriniens ?), il nous devient de plus en plus nécessaire de pouvoir planifier notre maternité / paternité. Et rien de tout cela ne souffre la moindre objection morale ; ces évolutions sont louables, à tout point de vue, je trouve.
Alors pourquoi ne pas planifier notre mort ? Pourquoi ne pas appliquer ce principe politique, législatif et social d'assistance technoscientifique à la satisfaction d'un intérêt majeur dans l'existence (tel que celui d'arriver à enfanter quand nous le désirons résolument) à un autre intérêt majeur, à savoir celui de ne pas souffrir dans la fin de vie ainsi que dans la mort ? Pourquoi ne pas mettre nos technosciences et notre législation au service de notre intérêt à mourir tel que nous le souhaitons, c'est-à-dire sans souffrir (que ce soit physiquement ou psychologiquement) ?
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Ce qui pourrait être mieux
SpiritualPetit recueil de réflexions (plus ou moins) philosophiques sur des problèmes de société majeurs, notamment la question de l'avenir de l'humanité et de la consommation de chair animale. Je suis candidement parti à la recherche des points aveugles de...
