2 | Shayn (Tome II)

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« L'indifference est la meilleure insulte. »

Shayn

Accordez un budget au proviseur d'un lycée de gosses de riches et il décidera que toutes les occasions sont bonnes pour montrer que son école est la meilleure. La dernière en date, c'est la compétition de hand-ball organisée en partenariat avec le lycée voisin. Sherborn accueille aujourd'hui le lycée privé de Deptford. Étalés sur deux après-midi, les matchs sont supposés renforcer les liens académiques et sociaux entre ces élèves issus d'un même environnement. C'est en tout cas ce que racontait le mail de Weber que j'ai lu en diagonale ce matin.

En voyant cette masse d'élèves étalée dans les gradins, je me dis que c'est surtout l'occasion pour tout le monde de ne rien foutre. Mais ça tombe bien, parce que j'ai encore les yeux qui se ferment après la nuit que j'ai passée.

Dans la tiédeur ambiante du gymnase, je suis paresseusement Ivy à travers l'allée réservée aux professeurs. Elle joue des coudes pour nous trouver deux places en bout de rang, évitant délibérément Allan, qui nous adresse un signe de main pour qu'on s'assoie à côté de lui. Je prends la place extérieure pour partir plus facilement si la compétition se révèle trop soporifique. Dans les rangs supérieurs, je sens quelques regards appuyés d'élèves de première et de seconde, qui ne participent pas mais qui se font une joie de rester pour lorgner les mecs du lycée concurrent, une denrée rare dans une école pour filles.

Ivy m'adresse un sourire ravi parce que j'ai accepté de l'accompagner ; une victoire après que je l'ai ignorée pendant plusieurs mois. Je n'avais pas l'intention de venir, mais c'est elle qui m'a sans le savoir convaincu avec un seul argument : ce sont les classes de terminale qui jouent. Alors j'ai abandonné l'idée de rentrer chez moi parce que l'après-midi était banalisée pour les enseignants et je l'ai accompagnée dans ce gymnase bruyant et lourd d'humidité. À cause de la brume qui tapisse les vitres, l'espace est plongé dans la grisaille.

Ici, il n'y a pas de pom-pom girls ni de banderoles à l'effigie de la mascotte de l'équipe du lycée, mais ces futilités ne me manquent pas. Ouais, tout à Sherborn semble recouvert d'un voile déprimant, et j'ai fini par m'y habituer.

Ce climat est étrangement reposant.

L'arbitre siffle pour inviter les joueurs à rejoindre le terrain et les élèves des deux écoles émergent des vestiaires avec un manque d'enthousiasme flagrant. Notre équipe porte les couleurs de l'établissement : des shorts longs et des chasubles blanc et vert forêt. Nos adversaires sont en rouge.

Je cherche June du regard parmi les élèves qui s'agglutinent sur le terrain mais je dois rapidement me rendre à l'évidence : elle ne joue pas encore. Alors que je me désintéresse du rassemblement, mon regard est attiré par une masse de cheveux auburn un peu plus bas dans les gradins voisins. Seul un escalier nous sépare. À côté d'Amara, elle s'affaire à renouer ses lacets, le genou replié sur l'assise en béton.

Je me laisse distraire par ses jambes fuselées. Mon esprit divague et je me revois agripper ces mêmes jambes pour l'inciter à s'abandonner complètement pendant que j'étais entre ses cuisses. Je reviens sur le match qui va bientôt commencer dans une vaine tentative de me reconcentrer, mais c'est au tour de ses gémissements de revenir me hanter.

Allez, sérieux. On a baisé qu'une fois. Une fois de trop.

Je vais m'en remettre.

Mon envie irrépressible de toujours regarder dans sa direction m'indique le contraire. J'ignorais qu'un profil pouvait être si intéressant. Mon regard descend sur ses bras. Ils sont découverts, pour une fois. On voit sa peau de pêche, dénuée de bleus. Ça répond à mes questions inexprimées et mon estomac se dénoue alors que j'ignorais qu'il était contracté.

TROUBLEMAKER | 1 & 2 [Sous contrat d'édition chez BMR]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant