La serveuse [Bucky Barnes]

I.

Le léger tissu de sa robe ténébreuse fouettait l'air tandis qu'elle remuait ses hanches au rythme de la musique. Ce n'était pas la meilleure danseuse, mais le pétillement dans ses yeux et son grand sourire montrait qu'elle était passionnée. Elle aimait bouger son corps en sentant au fond d'elle le rythme délicieux des mélodies.

Ce soir là, elle remplaçait Anastasia, qui avait la grippe. Habituellement, les soirs comme celui ci, où le bar était animé par des chansons en tout genre, elle, elle était au bar. Elle les admirait de loin, d'un émerveillement et d'une adoration presque enfantine.

Mais qu'importe. Ce soir était son soir, son instant. Elle ne se préoccupait pas de savoir combien de temps durerait ce moment, elle profitait simplement de ce doux bonheur. Ses boucles rousses s'échappaient avec entrain de la tresse illusoire qu'elle s'était faite et atterrissaient sur son front, luisant de sueur.
Quand la musique s'arrêta, elle fit une révérence, le cœur battant la chamade d'excitation et aussi, d'essoufflement. Elle songea qu'elle devrait reprendre le sport, tout en sachant pertinemment qu'elle ne le ferait jamais.

Elle descendit de la scène du bar, et se dirigea dans les vestiaires qu'il y avait. Elle se passa de l'eau sur le visage, se recoiffa et se changea. En effet, fini le petit masque délicat posé sur la haut de son visage et la petite robe marron. Arriva alors son jean noir, son tee shirt noir et son tablier, pour son travail de serveuse, qu'elle allait reprendre presque aussitôt. Elle salua les autres danseuses avec qui elle avait donné une performance ce soir la, et retourna dans ce quotidien, avec ce job qu'elle haïssait. Certes, elle aimait parler aux autres, mais bon sang, si on pouvait faire disparaître de ce monde les jeunes et vieux abrutis qui lui lançaient des regards salaces, l'univers s'en porterait mieux. De plus, là où ni eux ni elle n'avait de la chance, c'était sur ce point : Era Jones avait ce don d'être en permanence agressive avec quiconque l'agaçait. Cela lui avait valu bien des soucis, mais parfois, c'était quand même cool, selon ses dires.

Elle sortit de la loge et s'installa derrière le bar. Elle alla ensuite s'occuper des clients - une petite famille, qu'elle aurait trouvé adorable, si elle ne détestait pas les enfants. Ah, les enfants, ces créatures infernales qui criaient, courraient partout...
Puis, une fois que la famille fut servie, elle se tourna dans la direction d'un nouveau client, un homme, qui la couvrit d'un regard enjôleur. Elle leva les yeux au ciel et lui demanda ce qu'il voulait.

- Tout doux, chérie. Un café, s'il te plaît, beauté. Et ton insta.

Elle se mordit les joues pour ne pas l'insulter violemment.

- Évitez de me donner ces surnoms horribles. Ce sera non pour mon Instagram, mais en revanche pas de souci pour le café.

Elle fit demi tour avec un sourire crispé, et retourne au bar. Elle prépara le café et s'en suivit un duel de regard entre le café et elle. Era mourrait d'envie de cracher dedans, mais ce pauvre petit café la regardait avec ses petits yeux innocents.

Elle renonça alors à son plan machiavélique, trop touchée par ce café, et, maussade, se dirigea vers sa table pour lui emmener. Il lui adressa un clin d'œil et elle manqua de vomir.

Elle retourna au bar, et c'est là qu'elle se rendit compte à quel point cette scène l'avait stressée. Machinalement, elle dessina des cercles sur la peau de son avant bras et eut soudainement envie de se servir un bon verre d'alcool pour oublier les souvenirs qui revenaient de manière brusque. Cependant, la serveuse savait que le faire au travail n'était pas une bonne idée. De plus, elle ne buvait plus d'alcool depuis fort longtemps. Elle attrapa un verre avec l'idée de le remplir d'eau et de la boire, mais une voix masculine retentit derrière elle.

- Vous auriez un remontant ?

Elle sursauta de peur, et le verre tomba de ses mains jusqu'au sol.

- Merde, chuchota t elle, sans y réfléchir

Elle lança un regard au client et eut un rictus impertinent.

- Mince, je voulais dire, mince, se rectifia t elle, légèrement contrariée par la chute du verre
- Je n'ai absolument rien entendu, lui glissa t il, amusé
- Tant mieux alors, parce que je crois que ma patronne ne l'apprécierait pas trop. Que voulez vous boire ?
- Qu'importe.

Elle hocha la tête, perplexe, et lui servit un verre de jus d'orange. Dès qu'elle pouvait, elle essayait de faire de sorte que les clients prennent moins d'alcool. Certes, ce n'était pas son rôle, mais elle se sentait moins coupable. Elle savait que l'alcoolisme tuait beaucoup, alors si elle pouvait aider rien qu'un peu...c'était déjà ça.

- Merci. Bonsoir, d'ailleurs, la salua le client
- Oh. Bonsoir. J'ai cru que vous alliez oublier.
- Ça aurait été très impoli.
- Ça aurait pu ne pas vous déranger.

Era lui sourit.

Pendant qu'il buvait sa boisson, elle fredonnait une légère musique en essuyant un verre. Elle lui jetait des coups d'œil fugaces, pour tenter de décrire son visage, qu'elle trouvait plutôt passable et, à trop croiser son regard, elle savait que lui aussi la regardait. C'était plaisant de ne pas se sentir scrutée, mais de deviner qu'elle intriguait.

Il partit après l'avoir salué avec un beau rictus et laissa sur le bar des billets.

Elle passa le restant de la soirée avec les clients les plus casses pieds : les pères bourrés qui grommelaient après leur femme ou leur travail.