Les falaises ocre

1. La bascule

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Bonne lecture 📖 et d'avance merci !

Sonia
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J'entends le tic-tac incessant d'une horloge dans ma tête. Allongée sur mon lit d'hôpital, j'observe les murs blancs, la peinture écaillée et le mobilier vétuste dans cette chambre surchauffée en état de délabrement avancée. J'approche de la fenêtre ouverte, la fraîcheur est bienvenue et les rayons du soleil illuminent délicatement mon visage. J'inspire, ferme les yeux tandis que les images de ma tendre enfance surgissent comme une nuée de constellations autour de moi.
Je voudrais remonter le temps, redevenir cette petite fille éclatante de joie de vivre, retrouver mon insouciance, oublier que la mort fait partie intégrante de la vie, telle une épée de Damoclès permanente au-dessus de nos têtes.

Devenir infirmière était un rêve d'enfant. A dix ans déjà, je n'avais aucune peur de la souffrance, la maladie ou la mort, peut-être déjà consciente que l'enjeu du soin était dans la rencontre humaine. Je me ruais auprès des blessés lors d'un accident, j'observais les secouristes en imaginant être à leur place un jour. Lors des jeux symboliques si chers aux jeunes enfants, j'endossais toujours le rôle d'une infirmière, sensible et douce à la fois. Ma détermination m'a conduite à passer du rêve à la réalité. J'exerce ce métier depuis sept ans, en pédiatrie, un étage au-dessus, avec passion et engagement, heureuse de me lever chaque matin pour une profession qui fait sens.

Enfin, j'exerçais ce métier, plutôt.

Je n'imaginais pas inverser les rôles. Pourtant, je me retrouve en lieu et place des patients vulnérables et cela m'insupporte autant que le regard compassionnel des gens sur moi. Je fais de mon mieux pour éviter de scruter les faits et gestes des soignants. En vain. La méfiance m'oblige à vérifier chaque détail, chaque soin ; une surveillance subtile comme un formateur infirmier observe un étudiant en travaux pratiques, comme si les rôles étaient confondus et les limites franchissables.

Je jette un coup d'œil à mon mari, Alexandre, silencieusement installé près de mon lit. Je me garde de lui confier mes peurs et me contente de patienter docilement dans une insoutenable attente dans le silence et l'indifférence la plus totale. Je pense à tous les petits patients dont je m'occupe habituellement. Eux aussi voient défiler le temps avec leurs parents dans l'incertitude et la peur.
Plus les heures passent, plus j'ai envie de fuir, loin de cet hôpital, pour surtout ne pas être vue, ne pas savoir.

Jusqu'à ces dernières semaines, je menais une existence plutôt banale et paisible. La vie d'une jeune femme de trente ans, mariée et mère de famille, dévouée au service public hospitalier. Je côtoyais des enfants malades avec des familles ravagées par le chagrin, sans imaginer être un jour de l'autre côté du miroir. Aujourd'hui, la maladie ronge mon corps, je le sens dans les interstices de mes cellules. Les examens devraient confirmer les symptômes cliniques. Mes poils se hérissent tout à coup et ma respiration s'accélère, comme si la mort se rapprochait de moi. 

On frappe à la porte.

Je sursaute et me glisse précipitamment dans mon lit, quittant à regret ma tentative d'évasion à saute-mouton sur les nuages. Le médecin entre dans la chambre 518 du service de médecine générale, le visage sombre, une liasse de documents dans les mains.
Il avance vers moi, je perçois dans son regard un voile de miséricorde qui me révulse. Je m'accroche à Alexandre qui prend ma main dans la sienne. Je lui écrase les doigts tant mon inquiétude est à son paroxysme. Il agrippe fermement mes phalanges tremblotantes.