Le rendez-vous avec le docteur Parrot est prévu dans quelques jours. J'intériorise au maximum toutes mes angoisses en essayant de prendre soin de moi lorsque Tiago est à l'école et Alexandre au travail. Mais, depuis que ma décision est prise, quand la porte de la maison se referme, je me retrouve incapable de prendre la moindre initiative. Appelée par mon canapé et mon plaid, je me recroqueville en pyjama dans la position du chien de fusil. En fin de journée, je réussis à m'extraire du sofa pour prendre une douche rapide et m'habiller avant de les retrouver, en tâchant de ne pas laisser transparaître mon mal-être. Les doutes m'envahissent mais je les éloigne de toutes mes forces.
Je dois surtout faire illusion. Tenir, pour eux.
Un soir, pendant que j'aide Tiago à faire ses devoirs d'écriture en cursive, j'observe Alexandre s'installer devant la télévision. Il allonge ses jambes, les croise sur la table basse, manifestement éreinté par sa longue journée de fouilles archéologiques. Il me raconte avec précision sa journée de travail.
— Et toi, comment s'est passée ta journée ? me demande-t-il, enfin.
— J'ai bouquiné pendant des heures aujourd'hui, ça faisait une éternité.
J'invente chaque jour un mensonge différent : « J'ai pris un bain... je suis passée à la bibliothèque... j'ai regardé un film... j'ai vu une collègue de travail... ».
A chaque fois, il me félicite, heureux de m'imaginer combative et déterminée à m'accrocher. Mes réponses le satisfont. Il ne creuse pas, confiant. Et moi je sombre dans une déprime intérieure, avec pour seul témoin mon esprit.Je concentre mon regard sur le stylo de mon fils repassant la lettre A pour la dixième fois.
Je me sens honteuse d'agir de la sorte mais protégée par mes mensonges. Ils me sont vitaux.
— Tu veux de l'aide ? me demande-t-il sans décrocher son regard du téléviseur.
Je fais mine de ne pas l'entendre. Les efforts des premiers jours laissent la place à la routine habituelle. Une routine jamais remise en cause jusqu'à présent alors qu'elle m'insupporte aujourd'hui. Je n'ose exprimer la moindre plainte, j'hurle à l'intérieur de moi tant je suis dépourvue de la force nécessaire pour me confronter à une discussion.
— Non. Tiago a presque terminé. Allez, vas-y mon chéri, il te reste encore une ligne et c'est bon. Bravo !
Faire la politique de l'autruche me convient, pour le moment.Le lendemain, Sabine arrive à la maison. Elle a pris un congé pour la passer avec moi. La perspective d'une journée entière entre filles comme lorsque nous étions étudiantes, me réjouit au plus haut point. Elle m'avait aimablement appelé la veille pour me le proposer. Encore une fois, son intervention arrive pile au moment opportun.
J'ai disposé sur la table de la cuisine du thé, des viennoiseries au chocolat, quelques fruits frais découpés, un assortiment de fromages et un peu de charcuterie accompagné de pain frais. Un petit déjeuner royal, un brunch sucré-salé, en souvenir de nos vacances lorsque nous étions étudiantes.— Génial tu m'as gâtée, on va se régaler ! Moi aussi j'ai une surprise pour toi ! me lance-elle fièrement.
— Ah oui, raconte ?!
Elle me regarde tout sourire avec un air mystérieux.
— Mais enfin, il faut m'en dire plus !
Sabine sait que je suis impatiente de nature et prend un malin plaisir à faire durer le suspense.
— C'est de la torture ! A une amie malade en plus.... Et tu es infirmière, je te rappelle, je ne te félicite pas ! plaisanté-je pour la faire culpabiliser, en vain.
— La manipulation ne marchera pas ! Haha.Très fière de son manège, Sabine prend un malin plaisir à faire perdurer le mystère durant tout le gargantuesque petit dejeuner.
— Allez, on doit y aller maintenant, lance Sabine.
Nous enfilons nos vestes et partons dans sa voiture. Je n'ose plus l'interroger, elle paraît déterminée à ne rien dire. Mais à en croire les pancartes routières sur le trajet, nous sommes en direction de la capitale. Je monte mille et un scénarios dans ma tête. Une virée shopping ? Un musée ? Une promenade au jardin des Tuileries... ?
— Ah, je sais ! Une escapade dans un hammam ! J'en suis sûre !
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Les falaises ocre
Fiksi UmumQue feriez-vous si la maladie faisait irruption dans votre vie ? Delfine a trente ans, elle est infirmière, mariée à Alexandre et l'heureuse maman de Tiago, cinq ans. Elle apprend être atteinte d'un cancer, sa vie prend un tout autre virage. Elle co...