Elles. Elles se regardaient. Se jaugeant d'un bout à l'autre de la pièce. Leurs regards se croisant, encore, encore et encore dans ce décor de contes de fées. La première, se tenant près de l'hôte de cette somptueuse réception, la seconde, près de sa famille, attablée. Elles savaient que ce jour allait arriver. Ce fameux jour où elles allaient se revoir après de si longues années. Ce fameux jour qui les ramèneraient toutes deux à ce douloureux passé. Mais toutes deux évitaient tout de même de chercher à se rejoindre, de peur du regard, de peur des commérages, enfin de peur pour leur réputations.
Leur hôte était une jeune femme, et pas n'importe laquelle : c'était l'héritière du Trône, la princesse Mélissandre. Elle portait une robe bleue légère car ici l'été était étouffant de chaleur. Ses cheveux bruns étaient retenus à l'aide d'une tiare, signalant son rang. Elle resplendissait devant l'assemblée de courtisans, barons, comptes et serviteurs. Sa meilleure amie se tenait près d'elle. Elle tenait compagnie à la princesse car elle avait pour rôle d'être sa dame de chambre. Elle était drapée d'une robe jaune et de son signe distinctif : un pendentif rouge sang, montrant sa caste. Ses longs cheveux noirs étaient relâchés, soulignant son fin visage, ses grands yeux noirs. Elle s'appelait Rosa. Elles discutaient ensemble et avec les invités, qui apportaient des présents à la princesse, afin d'obtenir ses bonnes grâces. Chacun amenait donc une perle, une bouteille du meilleur vin, des tissus, des fourrures... Jusqu'au moment où l'on lui offrit un bracelet, en argent et serti de diamants. Les invités furent surpris, se taisant en observant cette famille fraîchement arrivée à la cour, accompagnée de leur fille aînée. Cette jeune femme avait les cheveux blonds bouclés, avait les yeux bleus perçants et un sourire qui feraient fondre n'importe qui. La princesse les jucha du haut de son trône, regardant le père qui était qualifié de meilleur bijoutier du pays, de sa femme, belle au port altier et bien sûr leur fille Céleste. Quand son sourire apparu, la princesse sentait que la tension accumulée par ce présent se dissipa, même si elle savait que de nombreux commentaires seraient faits. Ce n'est qu'en regardant Rosa, le corps tendu, les mains se tordants sans cesse, qu'elle sût qu'un autre problème s'engageait. Elle dévia son regard alors vers où sa dame de chambre avait posée son regard, et vit Céleste, elle aussi visiblement inquiète. Sa famille et elle retournaient à leur table au fond de la pièce afin de continuer de dîner, sentant autour d'eux le regard incisif des autres familles. Cela faisait près de deux heures que la réception avait commencé, il était donc l'heure pour la princesse de faire son discours, laissant Rosa dans son ombre. Elle s'avança sur l'estrade, devant son trône. Elle entama un discours classique : elle parla de son amour pour sa famille, sa patrie et ses futurs sujets, remerciant chacun des invités avec sincérité. A la fin de ce pot, elle annonça le dessert ainsi que les danses qui lui succéderont.
Céleste se tenait droite sur sa chaise. Elle étouffait dans sa robe. La chaleur rendait sa peau moite. Elle sentait les regards couler vers elle et sa famille. Si insistant. Elle avait peur de faire un seul pas de travers à cette représentation si cruciale pour sa famille et son futur. Et surtout elle avait peur d'elle. De sa réaction. De ses pensées sur sa personne. Elle tenait si fort ses couverts qu'elle vit ses mains blanchirs. Son cœur battait si fort dans sa poitrine : après toutes ces années passées à essayer de l'oublier... Elle ne pouvait s'empêcher de la regarder. De la voir agir de telles ou telles manière avec les invités et la princesse. Céleste regardait la façon de se mouvoir qu'elle avait, sa peau, aussi belle que la dernière fois qu'elle l'avait sentie sous ses doigts, ses cheveux qui avaient toujours l'air aussi doux et enfin ses mains, qui prenaient çà et là des objets sur la table royale. Après avoir détaché son regard de Rosa, elle ressentait cette puissante douleur dans son cœur. Cette peine immense ravivée. Les larmes lui montaient aux yeux. Les desserts passaient sur la table sans qu'elle n'y touche une seule fois. Fût alors venu le moment des danses. Elle vit la princesse Mélissandre donner sa main à quelque prétendants se tenant non loin d'elle. La princesse entama une valse, et de nombreux couples se joignirent à eux. La salle de réception se vidait petit à petit que le temps passait entre les danses. Céleste dansa avec son père une à deux fois.
Rosa quant à elle ne dansa pas une seule fois. Elle était trop occupée à être plongée dans ses pensées, tout en surveillant la princesse. Quand cette dernière se rassit près d'elle, elle lui chuchota à l'oreille : 'Va la rejoindre. Cela fait des heures que vous vous regarder. Je pressent que tu la connaît, même si tu ne me l'aurait jamais avouer.' Rosa se tourna brusquement vers Mélissandre en entendant ces mots, le rose lui montant aux joues, prête à protester, mais elle vit le regard et le sourire malicieux de la princesse qui lui rajouta ces mots : 'Je parlerai à ses parents pendant ce temps, allez dehors sur la terrasse, je crois que personne ne s'y trouve actuellement'. Malgré son jeune âge (la princesse avait 17 ans), sa perspicacité surpris une nouvelle fois Rosa, de cinq ans son aînée. Elle sembla de nouveaux réfléchir aux options se tenant devant elle, sous le regard de la princesse attendant son feu vert. Rosa savait que cette rencontre furtive ne lui apporterait que de la peine mais elle était résolue à parler, au moins une dernière fois, à l'amour de sa vie. Cet amour qui leur avait été arraché alors qu'elles n'avaient que 18 ans. Elle regarda la princesse dans les yeux, hocha subrepticement la tête, se leva et descendit l'estrade. Elle croisa le regard de Céleste, lui incitant à venir la rejoindre. Au même moment la princesse appela à travers l'assemblée les parents de Céleste à venir la voir afin de parler affaires. Clémence se leva elle aussi, et presque dans la précipitation marcha afin de sortir sur la terrasse. Rosa l'attendait. Céleste se rapprocha d'elle. Rosa ne la regardait pas, étant tournée vers le ciel. Sur cette terrasse, un soir d'été, où les insectes de nuits tournoyaient autour d'elles, elles se sont enfin retrouvées. Aucune d'entre elles n'osaient briser le silence. Un silence pesant, lourds de regret. Rosa se tourna enfin vers Céleste, le visage ayant un sourire triste, le regard souriant malgré tout. Céleste cru qu'elle allait fondre en larme. Rosa dit alors, rompant ce silence : 'Marchons ensemble'. Elles prirent un petit chemin près du château longeant des jardins magnifiques jusqu'à arriver devant un petit lac, loin des regards.
Céleste ne savait pas par où commencer. Elle cherchait ses mots en regardant le sol, n'osant pas relever la tête pour croiser le regard de sa bien-aimée. Soudain, elle sentit une main lui caresser le visage. Ces doigts qu'elle avait si souvent imaginer lui prendre le visage. Cette main si douce, chaude, réconfortante. Rosa la regardait avec une telle intensité que Céleste lui dit simplement : 'Tu m'a manqué'. Sa voie cristalline comme résonna aux oreilles de Rosa. Celle-ci retira sa main et lui répondit simplement : 'Toi aussi'. Elle jura avoir vu une larme couler le long des joues de son amante. Elle se rappela alors de la première fois qu'elles se sont vues. Dans ces couloirs de cette école où elles apprenaient toutes comment se comporter en bonne société. L'une pour un jour succéder à ses parents, l'autre pour devenir dame de chambre de la famille royale. Elles avaient alors 17 ans. Elles se sont aimées au premier regard, victime de ce fameux coup de foudre. Rosa se souvint des premières conversations, des premières caresses, du premier baiser, si doux et si pur... Elle se rappela quand elles avaient dû se séparer à la fin de leurs études, chacune pour atteindre leur futur. Leurs larmes coulant sur leurs joues de désespoir. Plus le résignement. Enfin les derniers au revoir, si douloureux. Et maintenant les revoilà, dans ce parc, sous les étoiles à enfin pouvoir se toucher, se sentir. Céleste lui raconta tout ce qui c'était produit dans sa vie après leur séparation, un sourire aux lèvres et une bonne humeur ne la quittant plus. Rosa l'écouta, puis lui conta ses plus chers souvenirs après son arrivée à la cour, comment elle avait gravit les échelons jusqu'à devenir femme de chambre de la princesse Mélissandre. Comment celle-ci agissait, ses opinions en matière de politique et enfin les ragots à la cour. Seulement le temps qui leur était accordé par la princesse arrivait bientôt à son terme, Rosa le sentait. Cette profonde douleur reparut dans leurs cœurs. Elles savaient toutes deux qu'elles allaient encore devoir se quitter. Et pour combien de temps ? Nul ne le savait. Leurs regards amoureux se changeaient en regards attristés. Elles restaient proches l'une de l'autre, la tête de Céleste au creux du cou de Rosa, qui lui caressait le dos. Céleste huma une dernière fois le parfum de son amour avant de se détacher d'elle. Elle approcha ses lèvres de celle de Rosa, et un court baiser fût échangé entre les deux amantes. Céleste se sépara de Rosa le regard embué. Elle lui dit d'un ton calme : 'Rosa, de ma naissance jusqu'à ma mort, sache que mon cœur t'appartiendra toujours.' Rosa la regarda et lui répondit doucement : 'Mon cœur est tient, Céleste.' Elles retournèrent à la réception et se dire une nouvelle fois au revoir sous leur regard brisé. Rosa sentait des larmes monter, prêtent à couler. Elles partirent chacune de nouveau à leurs places attitrées. N'osant plus se regarder de peur de fondre en larme devant l'assistance. La réception se termina quand la princesse Mélissandre se retira dans ses quartiers, avec Rosa et laissant une Céleste tourmentée avec ses parents.
Mais quand se retrouveront-elles enfin ?